Jean-Pierre Terracol : « Le vrai du théâtre vient au plateau »

Dans un texte paru dans la revue des Arts et Lettres de France, le metteur en scène bordelais Jean-Pierre Terracol explore l’art de diriger un acteur, l’exigence d’un “vrai théâtre” et la quête d’un moment de vérité partagé avec le public. Président-fondateur de la Cie théâtrale l’Oeil la Lucarne (C.T.O.L) à Bordeaux, metteur en scène, animateur d’ateliers, correspondant de presse et ancien directeur du Théâtre La Lucarne, il défend une pratique rigoureuse, profondément humaine et résolument tournée vers la scène.



Figure familière de la scène locale, Jean-Pierre Terracol s’est imposé depuis plusieurs décennies comme un artisan du théâtre bordelais. Fondateur de la compagnie L’Œil la Lucarne (C.T.O.L), il a dirigé pendant de longues années le Théâtre La Lucarne, tout en poursuivant une activité de metteur en scène, d’animateur d’ateliers et de correspondant de presse. Sa parole s’inscrit dans une double expérience : celle de l’artiste au service de la mise en scène et celle d’un passeur convaincu de la nécessité de former, transmettre et partager.

La rencontre entre un interprète et un personnage ne se décrète pas. Pour Jean-Pierre Terracol, elle se construit au fil d’un accompagnement patient, exigeant, presque silencieux au début, puis décisif « au plateau ». Là, l’acteur se dépouille de ce qui lui est personnel, non pour s’effacer mais pour porter le texte et laisser « vivre naturellement le personnage ». Sans ce cadre de travail précis, fait d’attention extrême et de confiance totale, l’interprète, livré à son seul instinct, « ne pourra avancer que par hasard ». La direction d’acteur, telle qu’il la conçoit, est donc une métamorphose guidée : « il faudra obligatoirement l’emmener à devenir un autre… le personnage ».

Cette exigence s’étend à l’espace scénique. Jean-Pierre Terracol parle d’« écrin naturel », de « vrai théâtre », de salles qui favorisent la proximité et la qualité d’écoute. De retour dans un lieu « digne de ce nom », rien n’est décoratif ni illustratif « pour faire bien ». L’aspect visuel doit être réaliste, confortable et vrai. « Chaque élément présent sur scène doit avoir son utilité et un sens », soutenu par une régie précise ; tout effet gratuit est écarté. La scénographie n’est pas une signature tapageuse : elle éclaire l’histoire. De même, « toute caricature » et toute tentation « racoleuse » sont bannies, au profit d’une lisibilité du récit et d’un rapport direct à l’attention du spectateur.

Car le public n’est pas un simple témoin : dans une salle qui « a une âme », des habitués « à l’aise et en sécurité » deviennent des partenaires de jeu. Jean-Pierre Terracol parle volontiers de « complice » et même de « double » du personnage. Ce dialogue sensible, fondé sur une scénographie signifiante et une régie au cordeau, vise un « moment de vrai » : une secousse soudaine qui bouscule le spectateur désabusé et réveille son attention. Souvent, c’est à la Première que naît ce choc, la « meilleure des récompenses », lorsque la représentation trouve d’emblée son point d’équilibre entre l’acteur, l’espace et la salle.

Ce travail n’a rien d’une entreprise solitaire. La cohésion d’une troupe et la confiance réciproque permettent d’« oublier » l’artifice, de faire place à la vie du plateau. Mais la mise en scène reste une écriture : « c’est notre sensibilité qui détermine notre travail de recherche de sens ». D’où l’importance d’un temps préparatoire, mené avec l’assistant·e, pour relier les intentions, organiser les transitions, et nourrir l’identification des comédiens à leurs rôles. Surprendre, oui, mais sans jamais se détourner du cœur : « l’art du vivant ». Les mots ne suffisent pas ; ils demandent des « éléments de chair et de sensibilité » pour advenir. C’est le plateau qui tranche, corrige, ajuste, révèle.

À rebours de certaines « performances » contemporaines qui, selon lui, confondent exposition de soi et service de l’œuvre, Jean-Pierre Terracol rappelle une éthique commune — qu’il s’agisse du théâtre dit de boulevard ou d’autres formes : une scénographie signifiante, une régie au service du sens, l’humilité d’un metteur en scène « vecteur de sens ». Un plateau nu qui deviendrait « un stade » ne sert plus le même art. Les facilités et la vanité, ajoute-t-il, desservent des métiers « souvent portés par la passion ».

Reste la question du réel. Peut-on représenter la réalité telle quelle ? Jean-Pierre Terracol répond non, sans détour. « Le vrai du théâtre n’est pas superposable au vrai de la vie », car il passe toujours « par le filtre de notre regard ». L’illusion totale est une chimère ; l’enjeu est ailleurs : faire vibrer l’attention, ici et maintenant, dans le partage d’un temps présent qui révèle l’œuvre plutôt qu’il ne l’imite. C’est au plateau, encore et toujours, que se joue cette vérité, fragile, éphémère, mais tenace, à laquelle aspire le metteur en scène, ses comédiens et ce public devenu, le temps d’une soirée, leur indispensable complice.

Ecrit par La rédaction


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