Au centre de soi-disant bien-être, la sonnerie du repas de midi retentit. Dans la si petite salle, son tintement sombre résonna à peine. Wendy, Lia et moi, nous retrouvâmes nos places habituelles autour de la table carrée qui nous était destinée. Lia cachait dans sa poche tous les cachets soigneusement écrasés, spécial ; gros dodos. C’étaient ceux qu’elle avait récoltés de nos pharmacies respectives. Ma tisane au tilleul n’eut pas beaucoup de succès, mais je retrouvais, un peu écrasés dans ma trousse de toilette, deux vieux cachets de mélatonine que Lia accepta avec indulgence. En femme organisée, elle avait préparé deux jolis petits sacs, prêts à s’ouvrir au bon moment. Elle en prit un et Wendy l’autre, chacune devait glisser dans l’assiette ou le verre de nos hôtes la précieuse poudre. Je devais faire diversion. J’avais préparé un petit spectacle.

Au milieu du repas, je me levais. D’un pas que je voulais chancelant, lentement, en titubant, je glissais sur le sol (je dis bien doucement, car je ne voulais pas me faire mal). Il y eut un étrange silence. Les trois hôtes ne bougeaient pas !

Wendy rugit.

 Vous n’allez pas la laisser comme ça, sans rien faire ?

Ils se retournèrent vers elle.

 Heu non, bien sûr ! Ils se levèrent, se regardant toujours hésitants.

Comprenant de ma place de gisante, que ma petite personne n’intéressait pas grand monde, je me mis à gémir.

Alors, là, quand même, je sentis le souffle de mes hôtes sur mon visage, l’un d’eux envisagea le bouche-à-bouche, ce qui me fit instantanément ouvrir les yeux.
Derrière l’attroupement que j’avais enfin déclenché, je vis mes amies s’affairer autour des assiettes visées. Je m’assieds lourdement et soudain éclairée par je ne sais quelle inspiration fantaisiste, j’annonçais avec malice.

 Je crois que je suis enceinte !

La fausse nouvelle fit grimacer le staff. Mais, ils reprirent vite leurs esprits alors que je retrouvais la station debout et déclarais avec entrain.

 J’ai une faim de loup !

Je me retrouvais à ma place et dévorais mes pâtes à la bolognaise. Miranda me regardait avec curiosité et Pollux, alias Nicolas, paraissait ne rien comprendre à ce qui se passait. Paula, quant à elle, ne parut pas plus inquiète que ça.

Wendy les regardait discrètement manger leurs pâtes respectives avec appétit. Elle chuchota qu’elle avait mis également de la poudre dans le verre de Miranda, dont les yeux de chat curieux et parfois inquiétants semblaient lire dans nos pensées.

Le dessert arriva sous la forme de crème renversée pas très renversante d’ailleurs et nos hôtes étaient apparemment toujours en pleine forme. Je proposais à mes amies une partie de babyfoot pour digérer.

Je tournais le dos à la table des trois animateurs quand je vis Wendy qui me souriait en me montrant ce qui se passait.

Visiblement les doses avaient été plus que suffisantes, car nos hôtes s’étaient tous les trois accoudés et les yeux fermés ronflaient. Je me dirigeais vers mon sac dans lequel les cordes attendaient d’être efficientes. On ligota prestement le staff qui se laissa faire avec un sourire béat.

Lia courut dans leur chambre que nous trouvâmes en désordre et très vite dénicha un téléphone, puis deux autres, et enfin nos propres téléphones cachés dans une boite. Aussitôt chacune tenta d’appeler d’abord sa famille, puis la police avant de s’apercevoir qu’ils étaient tous déchargés et qu’aucun chargeur ne pointait son fil salvateur à l’horizon.

 Bon, je propose que nous prenions la tangente, on s’en va, dit Wendy avec autorité.

Toutes d’accord sur ce principe, nous récupérâmes nos affaires pour partir. Au bureau de Paula, nous trouvâmes quand même une carte routière. Wendy s’en empara.

 On est là, le nord est par là, et là on voit une route, c’est à quelques kilomètres, c’est faisable. Courage les filles !

Je m’inquiétais un peu, car, fragile des orteils, j’augurais assez mal la promenade, mais ne voyant pas d’autres solutions, je suivis la troupe.

Cela dura bien une heure quand, enfin, une belle route bien goudronnée apparut et comme un mirage un arrêt d’autobus également. C’était notre chance, car au bout d’un bon quart d’heure, l’autobus B apparut bientôt et, alors que nous allions nous apprêter à monter, Tommy descendit !

 Mais Tommy, te voilà !

La surprise fut encore plus grande quand, après lui apparurent mon cher frère Leo et son pote Maximilien ! Celui-ci enserra sans tendresse les bras de Tommy qui se laissa faire la mine déconfite. Léo se saisit du gros sac que Tommy laissa tomber.
Après de chaudes retrouvailles, chacun raconta son aventure ; les inquiétudes des uns et les voyages désorganisés des autres. Tommy passa aux aveux. Il disculpa Paula, Pollux et Miranda qui avaient été payés pour créer la pointe épicée de mystère et de piquant de notre séjour, mais qui ne connaissaient pas les manigances de Tommy. Personne n’était mort dans cette histoire et Wendy, dont la sœur cadette avait payé une rançon, fut remboursée quant au conseiller financier et amoureux de Lia, il avait attendu et finit par appeler la police, ce qui quand même vexa un peu cette dernière.

Nous nous séparâmes en jurant de nous retrouver dans des circonstances plus tranquilles tout en admettant que cette aventure avait été très amusante.
Je retrouvais ma petite famille et décidais que j’avais besoin de vacances, mais cette fois, ce serait chez nous avec un bon livre, une petite couverture sur mes genoux et une tasse de chocolat fumant.

FIN