Bordeaux
Toujours à la recherche des traces du « Bordeaux disparu et secret *1 » Antoine Lebègue évoque la belle histoire du « Petit Mousse », la gondole du Jardin Public qui va bientôt renaître grâce à une poignée de Bordelais passionnés.
Souvenez-vous. Au siècle dernier, au début des années 60, un jeu est très à la mode : le stéréoscope, un petit appareil qui permet de voir de mini diapositives en relief. Il existe alors deux systèmes rivaux dans le monde : l’américain, Viewmaster, et le français, Lestrade. Ce dernier est produit dans les Pyrénées, plus précisément à Vic-en-Bigorre. Cette implantation dans le Sud-Ouest fait que la firme s’intéresse à Bordeaux. Et que choisissent ses responsables pour représenter la capitale aquitaine ? En premier, bien évidemment, le Grand Théâtre, et en second le Jardin Public avec une vue d’une gondole passant devant l’île qui s’élève au cœur du bassin. Le choix de cette vue montre que les gens de chez Lestrade connaissaient fort bien la ville. Cette charmante embarcation de neuf mètres aux airs de Drakkar faisait rêver les petits Bordelais. À bord pendant une dizaine ou une douzaine de minutes ils s’imaginaient partant à la découverte de terres inconnues et de repaires de pirates autour d’une île qui devenait celle de La Tortue. En naviguant sur les eaux paisibles du bassin, le « Petit Mousse » éveillait des vocations comme les vitrines du magasin Verdeun, rue des Piliers de Tutelle.
- Une image du premier « Petit Mousse » extraite du film de Bernard Gaillard.
Il faut dire que ce petit navire avait déjà une longue histoire, qui faisait de lui une véritable institution bordelaise. Il avait vu le jour en 1893 en pleine Belle Epoque et avait embarqué quelque cinq millions de passagers pendant plus d’un siècle. Il avait parcouru 126 000 kilomètres. L’équivalent de trois tours du monde. Il semblait éternel. Mais il avait connu bien des vicissitudes. Et s’il naviguait toujours, c’était grâce aux ajouts de ciment pour colmater les trous de sa coque en fer. Un remède pire que le mal, car le ciment avait rongé le métal, condamnant le vaillant petit bateau. Si bien qu’à la veille du nouveau millénaire il se retrouva échoué au fond des serres de la Ville de Bordeaux au Haillan. Le mot fin semblait écrit quand quelques amoureux se mobilisèrent, avec en tête Kevin Desmond, un Britannique venu à Bordeaux pour monter le Musée de la Plaisance, Michel et Colette Suffran ainsi qu’André Desforges. Ils se lancèrent dans le pari fou de créer un nouveau « Petit Mousse » puisque l’ancien semblait irréparable. Pour porter le projet, ils choisirent une figure de proue médiatique en la personne d’Yves Simone, le pirate des ondes bordelaises, qu’ils nommèrent président de l’association qu’ils venaient de fonder et baptiser : « Va Petit Mousse ». Tous ensemble ils rédigèrent un livre *2 dont les droits d’auteur seront destinés à contribuer au financement du chantier.
- Le second « Petit Mousse » en construction aux chantiers Dubourdieu, photo
prise il y a quelques jours.
« Contribuer », car l’essentiel des sommes restait à trouver. La tâche semblait impossible, quand un sauveur se présenta : Bernard Paquier. Ancien expert-comptable, il fit le montage financier et surtout il trouva 22 mécènes prêts à apporter les fonds. Grâce à Bernard Paquier et à ses amis au printemps prochain un nouveau « Petit Mousse », identique à l‘ancien mais en bois, devrait quitter le chantier Dubourdieu à GujanMestras pour rejoindre son ponton au Jardin Public. De son côté l’ancien bateau, le « Petit Mousse » historique, rejoindra le beau Musée de la Mer et la Marine de Norbert Fradin pour être restauré par un charpentier de marine, Michel Joigneau, « ce qui permettra de le conserver dans le patrimoine bordelais » comme le note Yves Simone. Malheureusement l'un des principaux artisans de ce sauvetage, Michel Suffran, n’est plus là *3 . Mais son souvenir restera grâce au film que Bernard Gaillard, le Président du Festival du Film naval de Bordeaux a réalisé sur cette belle chaîne de solidarité qui va permettre aux petits Bordelais du XXIe siècle de partager les rêves de corsaires de leurs aïeuls.
Sources*
1 « Bordeaux disparu et secret », ouvrage paru aux Editions Sud Ouest.
2 « Va, Petit Mousse », ouvrage de Michel Suffran, Yves Simone et Kevin
Desmond paru aux Dossiers d’Aquitaine.
3 Michel Suffran est décédé en juillet 2018.
Ecrit par Antoine Lebegue