Bordeaux
Fatigués d’être les pantins d’UberEats, Deliveroo ou encore Take it easy, trois anciens coursiers ont décidé de créer leur propre société de livreurs en novembre 2017. Ils ont enfin des droits et sont véritablement indépendants.
« Le statut sur les plateformes est merdique, parce que t’as aucune couverture », explique Théo Meltz. Ancien coursier pour différentes applications de livraison, il décide de quitter ce système il y a deux ans. Associé à Arthur Hay et à Arthur Petitjean, Théo lance les Coursiers bordelais. Aujourd’hui, ils sont cinq et se trouvent au Garage moderne. Ils transportent de tout : des fleurs, des prothèses dentaires, des analyses, des bières. Pour commander une course, c’est simple. Un onglet est dédié à cela sur leur site internet, mais les professionnels préfèrent leur passer un appel, la proximité avant tout. Casque sur la tête, crampons aux pieds et sac sur le dos, Théo arpente les rues de la ville afin de livrer au plus vite Boxeaty, un de ses clients. Pour cette course, Théo empile sur son vélo « cargo » des caisses avec des box propres et sales, triées au préalable par Yann Thielin, PDG de la société. Les boîtes ne risquent pas de tomber grâce aux cordes et à la plateforme qui les soutient. Il se rend auprès de food truck. Après avoir récupéré les emballages et en avoir donné de nouveaux, il file vers le lave-vaisselle professionnel. Et ceci, tous les jours. « On peut leur dire : les gars est-ce qu’au final vous pouvez être là dans une demi-heure ? », explique Yann qui apprécie leur flexibilité. Arlette Moreau, une particulière, comédienne, témoigne : « Ces petits gars m’ont sauvé la mise ! J’étais à la gare et je me suis bloquée la hanche. J’ai hélé un homme avec un vélo et une tenue verte, il m’a dit qu’il ne transportait que de la nourriture. Il m’a ensuite rassuré en me renvoyant vers une entreprise mieux équipée. Le coursier est venu me chercher et je suis arrivée à l’heure ! »
- Un grand coffre à l’avant du vélo
Leur idée de départ était de faire concurrence aux plateformes déjà existantes en livrant des repas à domicile. Seulement, sans moyens financiers, cela s’est avéré compliqué. Tous ont décidé de lâcher ces entreprises pour retrouver une vie digne de ce nom. Grâce à leur association, ils n’ont plus la pression de se dire : « Si je ne fais pas cinq courses dans l’heure, je ne vais pas gagner assez ! », s’exclame Arthur Petitjean. Théo et Arthur ont commencé à travailler pour Take it easy . Rapidement, étant de plus en plus nombreux, les plateformes ont décidé de diminuer le prix des courses. « Les prix ont été divisés par trois depuis le commencement. » Ils ont dû travailler encore plus pour recevoir un salaire décent. Quitte à s’oublier. Ce qu’ils détestaient par-dessus tout c’était le fait d’être « fliqués ». Théo explique : « Sur Deliveroo, t’es guidé pas à pas, si tu déroges à la route, ils t’appellent direct alors que là, c’est nous qui choisissons. » Les Coursiers bordelais sont plus sereins parce qu’ils disposent des mêmes avantages sociaux qu’un salarié classique. « On a une mutuelle, des tickets resto, on sait combien on va gagner, on a huit semaines de vacances, on n’est pas payés au temps donc on fait bien notre travail », expose Arthur. En février 2016, le député Pascal Terrasse a remis un rapport au Premier ministre. Dans ce dernier, il demandait une clarification du cadre juridique de ces applications, surtout en ce qui concerne la protection des travailleurs. Trois ans après, rien n’a changé. « Avec les coursiers, on a une vraie prestation de qualité dans le sens où ils sont le prolongement chez nos clients », révèle Yann Thielin.
- Un instant de détente entre deux courses
Un gage de qualité qui a un prix. Les coursiers de plateformes sont payés à la course : 3 € chez UberEats plus 0,80€ par kilomètre parcourus, selon lescoursiersfrançais.com. Les Coursiers bordelais sont payés à la distance. Pour une course de moins de 2 km, il faudra débourser 7€ ; pour plus de 8 km, la note s’élèvera à 15 € avec le vélo classique et 21€ avec le vélo cargo. Dans quelques mois, les Coursiers bordelais deviendra une SCOP (entreprise coopérative) et appartiendra à ses employeurs. Pour Arthur Petitjean, « il y a un peu un côté idéologique ». Il s’explique : « Le modèle classique de l’entreprise ne nous a jamais convenu ; le fait d’avoir un chef ne nous convient pas et on a voulu prendre complètement le contre-pied des plateformes. Sur les applications, c’est le paroxysme capitaliste classique. T’es vraiment soumis à fond, exploitation totale. » Désormais, ils font tourner les tâches pour qu’aucun d’entre eux ne soit lésé. Une semaine sur cinq, un des livreurs laisse son vélo pour s’occuper de l’administration. Un passage obligatoire qu’ils acceptent sans rechigner.
Pour le reste, ils espèrent développer les Coursiers bordelais le plus rapidement possible. Arthur précise : « On n’emploie pas régulièrement, on essaye surtout de se développer en faisant quelque chose de solide, ça prend plus de temps. »
Ecrit par Margau Gonzalez