Le chat de Compostelle
Un jour, un chat m’a raconté son voyage à la poursuite de ses maîtres partis marcher sur le chemin de Compostelle. (Chapitre 2)
Le chat continua son étrange récit :
« Harry ouvrit la porte, il sortit, il referma derrière lui et voilà ! l’aventure commençait. Quel plaisir ! Je dégustais la liberté, que dis-je, je la humais ! la truffe plongée dans un pull angora qui sentait l’eau de toilette.
Au bout de quelque temps, je risquais un œil, soulevant subrepticement le capot de toile du sac, il faisait beau. Nous étions encore en ville. Il suivait avec application des repères sur le sol, parfois des coquilles Saint-Jacques sculptées dans la pierre, parfois des flèches jaunes. Je pensais alors que notre voyage nous conduisait vers un pays merveilleux constellé de ces délicats fruits de mer. »
Interrompant son récit à cette évocation, le gros matou se lécha les babines et tout en s’étirant il ajouta :
« Il est vrai que je les aime plus que moi-même, même crues ! Il a bien fallu que je sorte un peu de ce sac, ne serait-ce que pour me dégourdir les pattes. Je saisis au vol une opportunité quand il décida de s’arrêter. Je le compris, car il dit tout haut :
ici, je serai bien.
Il avait choisi un banc dans un parc et s’apprêtait à poser son sac, mais j’avais prévu le coup. De plus, j’étais ravi, il pensait tout haut, cela allait me faciliter grandement l’existence. Je comprends un peu l’humain, en fait, plus instinctivement qu’autre chose, je suis un autodidacte. Je me suis donc glissé subrepticement hors de son sac à dos et j’ai sauté dans le vide, heureusement que je suis souple et que je retombe toujours sur mes pattes, enfin, en général. Je ne sais pas quel est mon poids, mais il n’eut pas l’air de s’apercevoir que je n’étais plus là. C’était un grand costaud et j’étais content de voyager avec lui, personne n’oserait nous chercher des noises.
Je me cachais, et quand il déballa son sandwich aux rillettes, je fis une entrée que je qualifierais de remarquable dans sa vie. De l’air le plus naturel et le plus adorable dont j’étais capable, je m’approchais de lui tout en accompagnant mon élégante prestation de petits miaulements plaintifs pour l’émouvoir, mais juste assez pour ne pas l’agacer, tout en flairant son déjeuner.
Tiens tu ressembles drôlement à Agamemnon. Tu es aussi moche que lui !
Je ne sais pas exactement ce qu’il voulut dire, mais je compris qu’il m’avait reconnu. Il me tendit un bout de pain, et je sentis que nous allions devenir de véritables amis, après tout, nous étions déjà inséparables. Je le laissais finir son déjeuner tranquille après m’être sustenté pour courser quelques pigeons bien gras dont la vue libéra mon instinct de chasseur. Malheureusement, ils s’avérèrent plus sauvages que je ne l’aurais cru, l’un d’eux me pourchassa, et je n’eus plus qu’à me réfugier à l’abri de la grande silhouette de Harry. Je pensais avec nostalgie à ma petite patronne, si elle ne m’avait pas abandonné à mon triste sort, elle serait là pour me faire un câlin réconfortant. Mais mon nouveau maître ne perdant pas de temps en démonstrations sentimentales s’était levé. À présent, il me fallait réintégrer le sac en catimini. Je commençais par le suivre de loin.
Je marchais des heures, Harry n’ayant pas remarqué ma douleur, il ne me proposa pas son aide. Ce fut un véritable supplice, heureusement la nature étant ce qu’elle est, il dut faire une halte afin de libérer sa vessie de son surplus encombrant, j’en profitais pour me glisser à nouveau dans le sac. Enfin à l’abri et au chaud, je me laissais délicieusement bercer par le pas rythmé de mon pèlerin et je ne tardais pas à m’endormir.
Le soir s’attardait, Harry qui avait rencontré d’autres voyageurs, devisait joyeusement avec eux et bientôt, tous rentrèrent dans une maison. Je glissais un œil discret. Je compris que nous allions passer la nuit ici. Il déposa le sac dans une pièce minuscule. C’était un dortoir, d’une demi-douzaine de personnes, dont au moins trois ne tardèrent pas, dès la nuit tombée, à ronfler horriblement, c’était bien ma veine, moi qui ai le sommeil si léger.
J’avais dormi toute une partie de l’après-midi, bercé par la marche chaloupée de ma monture et donc, j’étais plutôt en forme. Je choisis d’aller me promener nuitamment dans le gite, curieux de trouver une cuisine ou un garde-manger. Malheureusement, rien ne trainait dans les parages pour les pauvres matous affamés, aussi, repris-je ma place sous le lit de Harry qui dormait déjà depuis longtemps.
Nous repartîmes tôt le matin suivant, Harry s’était enduit les pieds d’un onguent qui sentait les herbes et la chimie ce qui me fit un peu tourner la tête, mais qui était loin d’être déplaisant. Je choisis de ne pas intégrer l’abri odorant de sa besace pour le suivre à la trace. Heureusement, il s’arrêta plusieurs fois pour contempler le paysage, il posa son sac sur le sol et nous pûmes admirer le soleil qui se levait. Je constatais que c’était un grand romantique, mais je ne m’attardais pas, n’attendant pas qu’une meilleure occasion ne survienne et je bondissais dans son sac. Moi, le soleil qui se lève, je connais, il fera la même chose demain, ce doit être un truc d’humain, la peur que ce soit le dernier sans doute.
Je ne m’étais pas trompé, des couchers et des levers de soleil il y en a eu d’autres, mais à chaque fois Harry rentrait dans une sorte de transe. Je ne sais pas depuis combien de jours nous avions quitté la maison, mais alors qu’une fois de plus nous admirions la course quotidienne du grand astre réchauffeur, il se mit à me parler comme si je comprenais parfaitement l’humain, j’en fus flatté.
Agamemnon, c’est bien toi, si tu veux voyager incognito, il faut enlever ton collier. Tu peux arrêter de te cacher. Quel âge peux-tu bien avoir ? Tu es si rabougri, tu pèses une plume, je ne sais pas si c’est très règlementaire de voyager en tandem, mais bon, si c’est le destin qui décide que je dois faire un bout de chemin avec toi. De toute façon, je ne peux pas te mettre dans un train pour rentrer à la maison. Tante Irma m’avait bien dit que tu n’avais pas l’air heureux, je pense qu’ils ne doivent pas être trop surpris, ils sont fatalistes. Mais ils ne s’inquièteront plus, je leur ai envoyé un texto. Tiens ! Je nous ai fait un sandwich au thon.
Je compris qu’il venait de me narrer une élégie.
Il avait saisi par je ne sais qu’elle merveilleuse intuition que j’adorais le poiss’... enfin, les boites de conserve. Les jours qui suivirent, un rituel qui devint une habitude s’instaura. Au matin, je me glissais dans le sac alors qu’il faisait encore nuit et Harry quittait le gite. Au bout de ce que je supposais être des heures, je sortais ma tête à l’air libre et je regardais le chemin par-dessus son épaule. C’était assez agréable je goûtais tout à fait passif, le rythme régulier de ses pas. Au bout de quelque temps, quelque chose changea. Les humains qu’il croisait parlaient étrangement. Les mots roulaient dans leurs bouches et je ne comprenais plus rien, Harry par contre, comme s’il s’y était attendu, s’adapta très bien et il fit comme eux, je crus bientôt que je pourrais y arriver moi-même, il semblait qu’il suffise que je finisse mes miaulements par des oh ou bien des ah. Cela, c’était juste avant la tragédie. »
Ecrit par Marie-Laure Bousquet
Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk