Le chat de Compostelle

Le Chat de Compostelle : Chapitre I

Un jour, un chat m’a raconté son voyage à la poursuite de ses maîtres partis marcher sur le chemin de Compostelle.

Le pèlerin de saint Jacques fixait la lueur étrange de ses yeux luisants sur moi tout en me racontant son aventure, lascivement étendu sur un tapis en peau de bête acrylique, devant le feu factice d’une fausse cheminée.

« Tout a commencé quand mes maîtres, Chris et Marie, ces ingrats représentants de la race humaine, m’abandonnèrent chez deux imbéciles de leurs amis.

Ne croyez pas que j’exagère, l’inculture et le mauvais goût, dont faisait preuve ce couple censé s’occuper de moi, étaient une injure à mon intelligence. Je vous fais juge ; cette maison était décorée d’un style provocant qui me répugnait. Tout y était dédié à mon ennemi héréditaire, le ch ch ii… j’ai du mal à le prononcer sans répugnance, vous comprenez ? Mais si ! La bestiole bruyante, remuante, qui chlingue atrocement ! Des portraits d’immenses labradors qui visiblement ne se privaient pas de baver s’étalaient sur leurs murs. Dieu merci ! Ils étaient partis, on ne sait où, depuis longtemps. Il ne manquait plus que cela que je cohabitasse avec ces monstres ! Je sais de quoi ils sont capables, j’ai des amis que j’ai perdus comme ça, dévorés, d’une seule bouchée. Je préfère ne pas y penser. Mais revenons à mes logeurs, je devais supporter leurs crises lamentables de tendresse rétrospective envers leurs molosses trop prématurément disparus à leur goût, et souvent, me prenant à témoin ils larmoyaient devant leurs pitoyables portraits.

-  Ils étaient si doux, de si braves toutous !

C’était d’un pathétique tout à fait ridicule, qu’est-ce que j’y pouvais, moi, si leurs clebs avaient clamsé… Il parait qu’ils n’ont pas autant de vie que nous, et bien ! Ce n’est pas moi qui fais les règles, le cosmos s’est organisé sans ma permission. Qui puis-je ? Cela dit, je n’étais pas si seul, je devais partager mon nouveau territoire avec un perroquet. Sur le moment, j’étais plutôt content, je crus qu’il s’agissait d’une sorte de nourriture volante mise à ma disposition ; un genre de poulet à rôtir qu’il fallait que j’attrape pour qu’ils me le préparent, me le cuisent et me le servent à table enfin je veux dire, à la gamelle.

Malheureusement à ma première tentative, ils se jetèrent sur moi, je parle du couple, et je fus injustement puni et privé de protéine. Pendant deux jours complets, je n’eus droit qu’à des pâtes et du riz. Heureusement, mes ancêtres m’ont légué quelques talents de sprinter et je me rattrapais la nuit, coursant les souris noctambules, j’en dévorais plusieurs sans grand plaisir, préférant malgré tout, la viande cuite au gibier cru.

S’ils l’avaient su ! Ils m’auraient remercié, je les débarrassais de cette engeance, au lieu de cela, je dus subir leurs reproches. Mais enfin ! Ils n’avaient qu’à mettre une pancarte au cou de ce drôle de volatile bigarré, je ne sais pas lire le français, mais je me serais méfié !

Je crois que j’aurais pu mourir de chagrin devant cette injustice si l’instinct de survie n’avait pas été si développé en moi.

Pour être juste, je reconnais qu’en dehors de ces petits soucis de communication, ils n’étaient pas de mauvais bougres. Ce couple, sans enfant (c’est déjà ça…) m’avait pris en pension et plutôt en affection, pour m’éviter la déchéance pitoyable de la rue, car mes égoïstes maitres englués d’une étrange fièvre de religiosité ou de mysticisme ou que sais-je encore, m’avaient abandonné pour faire le chemin de Compostelle.

Oui, cela me fait du mal, mais il faut bien que je vous parle d’eux. Je ne sais pas pourquoi, ils ne m’aimaient plus, je crois, j’avais sûrement fait quelque chose de terrible. Ils m’avaient dit avant de disparaître :

Nous reviendrons te chercher.

Ils croyaient que j’allais donner mon approbation à la torture qu’ils comptaient m’infliger. Je le sais à présent. Mais moi, à ce moment-là, je flairais dans le fond de mon cœur une menace. Mon instinct me disait qu’ils mentaient pour soi-disant ne pas me faire « souffrir ». Je ne suis peut-être qu’une vieille bête, mais à la vérité, je sais que le mensonge n’est utile qu’à celui qui le profère. Je me sentais comme ce petit être venu de l’espace oublié sur terre, vous voyez qui je veux dire ? mais si tout petit, sans poil avec de grands yeux de lapin ! Oui c’est ça, je vois votre index qui pointe vers les nuages. Mais revenons à mes maitres. Je les ai entendus, ils partaient à pied (!) à Compostelle voir un certain Jacques, un saint, rien que ça ! mais où était-ce Compostelle ? Et pourquoi ne m’avait-on pas invité ? Figurez-vous, que c’est un chemin qui n’en finit pas et là voyez-vous, je me marre, déjà, Marie a tout le temps mal aux pieds ! À peine descend-elle de voiture qu’elle a des ampoules plein les orteils. Non, on ne me l’a fait pas, à moi. Ils voulaient se débarrasser de moi, la voilà la vérité toute crue, terrible, cruelle. Mon maître Chris, randonneur, allons donc ! Je n’y crois pas une seconde, c’est un nageur, un poisson géant, qui n’est heureux que lorsqu’il descend les rivières. Je connais des saumons moins habiles que lui. Il est vrai que mon maître ne remonte pas le courant.

Non, il se passait quelque chose. Pour finir, ce qui me décida à agir ce fut l’insurmontable problème de la nourriture, je ne m’y habituais pas du tout, je fis même une sorte d’allergie. Mes hôtes voulaient que je mange des croquettes ! C’est sec et ça pue, moi je n’aime que le bœuf, s’il n’y a rien d’autre, mon plat préféré c’est le poissss..., enfin bref, toutes sortes de nourritures, débarrassées bien entendu, de leurs arêtes, et, pourquoi pas, finement arrosées d’un mince filet de citron.

Mais revenons à mon aventure, j’appris que le neveu du couple qui m’hébergeait, et qui était en vacances chez eux pour quelques temps, devait partir, lui aussi, sur le chemin, je l’avais compris en le voyant remplir un sac à dos qui me rappela aussitôt celui qu’avaient confectionné mes maîtres quelques jours auparavant.

Je pris ma décision, moi aussi j’allais partir, je voulais le voir ce Compostelle qui attirait tant les humains !

Le jour venu, je me cachais dans le sac à dos, cela ne fut pas facile, je faillis manquer le départ, vous pensez ! Cinq heures du matin, j’étais en plein sommeil paradoxal, je rêvais … »

Le gros chat souleva son museau pour scruter l’horizon, avec précaution il jeta un œil à droite, puis à gauche pour vérifier je ne sais quoi, il reprit :

« Mais c’est trop personnel, je ne veux pas que quelque méchant analyste trop curieux en mal de patient, n’interprète à mon désavantage ces divagations oniriques.

Par contre je dois préciser que ce fut facile de me glisser dans le sac, j’ai oublié de vous dire que j’étais alors très petit pour mon âge, mon maître qui aimait à plaisanter, disait de moi que j’étais probablement le croisement entre un hérisson et un cachou, vous savez ces bonbons à la réglisse. Quand Marie lui avait demandé pourquoi un hérisson il avait répondu que j’étais aussi sociable que de ces sympathiques animaux, au demeurant fort délicieux à en croire quelques connaisseurs si on réussit à les débarrasser de leurs piquants.

Mais revenons à mon départ pour Compostelle, mon ardent coursier s’appelait Harry, je trouvais cela très exotique, et même un peu américain, c’était chouette, à nous les grands espaces, la plaine et ses étendues de prairies sans fin.

(Illustration Sandra Bousquet)

Ecrit par Marie-Laure Bousquet

Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk


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