Cordélia et son fantôme

Cordélia et son fantôme : Chapitre II

Cordélia doit partager sa maison avec une colocataire très particulière ; une revenante ! (Chapitre 2)

Dans le rêve de Cordélia, le fantôme était assis sur le canapé du salon (qui décidément lui plaisait déjà beaucoup). L’émanation fantomatique raconta qu’elle habitait ici au siècle dernier, qui n’était pas si loin ! Et qu’il fallait qu’elle accepte la cohabitation d’une façon ou d’une autre. Cette dernière phrase fut énoncée sans méchanceté, comme une évidence qu’il fallait admettre une fois pour toutes.

Cordélia put ainsi faire connaissance avec Mildred d’une manière douce et onirique. Le fantôme, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, insista sur le fait qu’elle souhaitait du plus profond de son cœur (qui ne battait plus) que cela se passe bien, car, avait-elle avoué en riant, elle était une incorrigible bavarde et la perspective de dialoguer un peu gentiment avec Cordélia la ravissait d’avance.

Elle était satisfaite de constater qu’elles avaient le même âge ; vingt-six ans (pour Mildred le compteur s’était arrêté depuis bien longtemps) et qu’elles auraient mille choses à se dire, sur tout et sur rien, notamment la mode, le choix des vacances et pourquoi pas la politique ?

Au matin, Cordélia se souvint de ce rêve avec une netteté inhabituelle. Elle qui tenait tant à vivre tranquille et seule chez elle, et qui fuyait toute suggestion de colocation, dans ce rêve une jeune femme plutôt exsangue, lui expliquait qu’elles allaient vivre dans la même maison. Elle était perplexe et ne put s’empêcher de faire le lien avec l’apparition épouvantable du visage dans le miroir. Devant le peu de réactions de Cordélia, Mildred, le fantôme de la maison qui ne souhaitait surtout pas l’effrayer, fit d’autres tentatives en laissant des petits mots gribouillés sur les feuilles jaunes d’un bloc de post-it qu’elle colla sur le réfrigérateur. Dès la lecture, les petits papiers semblèrent se dissoudre et disparurent complètement. Le premier disait :

« Je ne souhaite pas vous faire peur… Je vis ici, je n’y peux rien et dès que vous avez signé les actes pour acheter cette maison je vous suis attachée pour toujours. Jusqu’à ce que vous vendiez, évidemment ou que vous mourriez, ce que je redoute un peu, vu que pour une fois, je tombe sur quelqu’un avec lequel je pourrais discuter agréablement de temps en temps. Pouvons-nous envisager de nous rencontrer sans que cela vous procure un quelconque malaise ? »

Cordélia, indécise, ne fit aucun commentaire. Devant son impassibilité, Mildred devina qu’elle était encore trop perturbée pour accepter sa présence. Elle prit son temps. Elle fit régulièrement des incursions dans ses rêves. À chaque fois, elle discourait sur ce qu’elle avait fait durant la journée, elle donnait son opinion sur les gens qui rendaient visite à Cordélia, untel ou untel qui lui avait paru sympathique. Parfois elle la mettait en garde contre celle-ci qui n’avait sûrement pas de bonnes intentions ou celui-ci qui n’en voulait qu’à son argent. Parfois elle donnait des conseils sur la façon de s’habiller de Cordélia. Ses interventions ne duraient jamais longtemps et restaient toujours sur le ton de la plaisanterie agréable. Mildred, si elle était ce que l’on nomme un esprit, n’était pas une idiote.

Bien sûr, Cordélia finit par ne plus s’émouvoir, car on se fait à tout et que l’habitude adoucit les émotions. Les mois passèrent quand Mildred apparut enfin devant elle, la dévisageant en souriant chaleureusement. Constatant avec soulagement qu’elle ne défaillait pas, elle lui fit un petit signe amical de la main et ne s’attarda pas, souhaitant lui laisser le temps de se faire à cette idée. Petit à petit, le fantôme apparut régulièrement pour faire la conversation à Cordélia. Au début, Cordélia ne répondait pas, émue sans doute à l’idée de discuter avec un fantôme.

Après le temps de la frayeur, celui de la surprise, ces apparitions eurent bientôt le don de l’agacer, mais Cordélia comprit assez vite qu’elle n’avait rien à craindre de sa revenante. Mildred n’avait pas le goût du fantastique, elle lui expliqua que depuis toujours de son vivant, elle préférait les comédies romantiques aux films d’horreur. Même si, autrefois, elle aimait effrayer, de temps en temps, les anciens propriétaires de la maison. Elle souhaitait passer les prochaines années à s’amuser jusqu’à ce que la situation change.

Quand Cordélia lui demanda comment elle en était arrivée là, elle se mit à pleurer bruyamment avant de disparaître pendant plusieurs jours, jusqu’à ce qu’elle surgisse un beau matin, comme si rien ne s’était passé, dans la cuisine, devant une tasse de thé. Le sujet ne fut plus abordé.

Mildred n’aimait pas du tout la solitude et adorait se mêler des affaires de sa propriétaire surtout quand elle recevait de la visite. Le problème, c’est que si Cordélia pouvait voir et entendre Mildred, ce n’était pas le cas des personnes qui venaient la voir chez elle.

Et donc, l’étrange colocataire ne se gênait pas pour intervenir quand des visiteurs passaient le seuil de la maison. Un soir, à bout de nerfs, Cordélia prit une décision.

En effet, ce jour-là, elle avait reçu la visite de Marine une ancienne copine de la fac qu’elle n’avait pas revue depuis des années. À peine était-elle entrée dans le salon que Mildred se déchaina, abreuvant Cordélia de réflexions désobligeantes au sujet de Marine et que son amie évidemment et heureusement n’entendait pas. La revenante gesticulait dans le dos de la visiteuse et grimaçait tout en poussant des glapissements ridicules. Cordélia parvint quand même à rester calme tout en prévoyant de ne plus laisser faire cette créature de l’au-delà. Dès le départ de Marine, elle tourna le dos à Mildred et en représailles, pendant une semaine, elle fit mine d’ignorer le spectre. Celle-ci qui s’était bien habituée à leurs joutes verbales en fut d’abord étonnée puis réellement mortifiée. Un matin, elle se mit en colère, mais l’offensée resta de glace.

Mais, qu’est-ce que j’ai fait ?

Finit par gémir Mildred en minaudant

Cordélia fit l’une des mimiques particulièrement désagréables, que le fantôme peu élégant avait grimacé avec le geste significatif qui allait avec. Mildred ouvrit de grands yeux surpris. Alors Cordélia prit une voix pincée pour imiter Mildred.

-  Bon sang, qu’elle est mal fagotée ta copine, vous vous êtes connu à la fac et
elle a gardé le look étudiant, c’est à crever de rire à son âge, elle n’a pas trente ans, mais quand même, on voit bien que ce n’est pas un lapin de six semaines ! et dis donc, elle ne louche pas sur les gâteaux, elle aime ça ! elle ne t’en a pas laissé un seul ! pourtant elle est grasse comme une dinde de Noël...Etc. Et j’en passe !

Mildred fit semblant enfin de comprendre ce qu’elle savait déjà, d’ailleurs, car si elle s’était bien amusée à pourrir le goûter des deux anciennes copines d’école, elle avait bien vu que Cordélia n’avait pas apprécié la blague.

-  Je suis punie …

Dit-elle sur un ton comique de petite fille qui vient de se faire gronder.

-  Je n’apprécie pas du tout tes interventions intempestives quand je reçois des amis, aussi, pour le bien de notre communauté forcée, nous allons instaurer des règles de vie. J’y ai réfléchi, d’abord ; Règle numéro 1 : quand j’aurai de la visite, je te prierai de disparaître et évidemment de n’intervenir sous aucun prétexte.

Mildred sourit

-  Il y a un petit problème en ce qui concerne cette règle N°1...

... LA SUITE MERCREDI PROCHAIN !

Ecrit par Marie-Laure Bousquet

Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk


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