Le Palais Rohan, d’abord palais épiscopal érigé pour l’archevêque Maximilien-Mériadec de Rohan et inauguré en 1784 – est devenu Hôtel de Ville en 1835. Sa grande porte, élément monumental du porche d’entrée, faisait partie des ouvrages d’art majeurs de l’édifice. L’imposte sculptée encore en place a servi de repère essentiel pour reconstituer l’esthétique d’origine.

Au fil du temps, la porte avait évolué : dans l’immédiat après-guerre, elle fut repeinte en bleu, une décision tardive à l’échelle de son histoire. Cette teinte, appliquée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, s’était progressivement épaissie jusqu’à masquer la finesse des décors sculptés.

23 mars 2023 : une nuit qui a bouleversé Bordeaux

L’incendie volontaire déclenché peu après 20 heures avait profondément marqué la ville. Le maire évoque encore « un spectacle horrible ». Les agents municipaux, présents derrière la porte, avaient réussi à éviter des dégâts plus graves. Le choc fut immense, tant pour les personnels que pour les Bordelaises et Bordelais attachés à ce symbole. L’événement ravivait aussi un sentiment d’insécurité déjà éprouvé lors de précédentes tensions sur la place Pey-Berland.
Certains fragments consolidés de la porte calcinée seront prochainement présentés au Musée d’Aquitaine.

Une consultation citoyenne massive et un choix clair

Point presse nouvelle porte pour l’hôtel de ville

En présence de Pierre Hurmic, maire de Bordeaux, Delphine Jamet, adjointe au maire chargée de l’administration général et Delphine Gramaglia, architecte du patrimoine.

Afin d’associer pleinement les habitantes et habitants, la Ville lança une consultation publique à l’automne 2023. Résultat net : 13 820 participants, dont 75 % favorables à la restitution de la porte originelle de 1784.
Ce mandat clair a orienté le chantier : reconstruire la porte en bois naturel, sculpté, sans repeindre en bleu l’ouvrage restitué.

Un chantier de 30 mois : recherche scientifique, artisanat d’excellence

Les travaux, répartis sur 30 mois, ont mobilisé une chaîne complète d’expertise : conservateurs, compagnons, menuisiers, sculpteurs, ferronniers, services techniques, entreprises spécialisées… et l’Agence Architecture Patrimoine, représentée par l’architecte du patrimoine Delphine Gramaglia, missionnée pour piloter la restauration de la porte et des encadrements en pierre.

Delphine Gramaglia

l’architecte du patrimoine Delphine Gramaglia, missionnée pour piloter la restauration de la porte au micro de la presse.

Un effort particulier a également été porté sur le circuit court, avec l’utilisation de bois français, fournis grâce au partenariat avec l’association Bois de France, afin de garantir une provenance locale et durable des matériaux employés.

La restauration s’est articulée en deux temps : d’abord la remise en état des encadrements en pierre, fortement altérés par la chaleur, puis la reconstruction de la porte à l’identique.

Pour retrouver son esthétique d’origine, un vaste travail scientifique a été mené :

• – stratigraphie pour identifier les couches successives de peinture ;
• – analyses en laboratoire pour dater les pigments ;
• – scanner 3D pour reconstituer les profils et volumes sculptés ;
• – recherches iconographiques, malgré la rareté des images montrant la porte fermée ;
• – étude de l’imposte fixe, présente sur les aquarelles anciennes, qui a servi de repère fiable.

  

  Porte du Palais Rohan

  La nouvelle porte de l’hôtel de ville

  Les sculptures, en particulier les médaillons de Saint Pierre et Saint Paul, ont été restituées grâce à un travail d’orfèvre : 1400 heures, dont la moitié pour les sculpteurs des ateliers de la Chapelle, travaillant entièrement à la main. La teinte naturelle retenue, recommandée par les services patrimoniaux, met aujourd’hui en valeur la finesse des décors, autrefois dissimulée sous la peinture bleu foncé de l’après-guerre.

  

  Nouvelle porte pour l’hôtel de ville de Bordeaux

  Les ferronneries

  La pose de la nouvelle porte a été un défi : les artisans ont dû composer avec un dévers de 12 cm dans l’alignement ancien du porche et un léger déséquilibre entre les cadres latéraux. Plusieurs jours d’ajustements finement calibrés ont été nécessaires.

Un coût global de plus de 800 000 euros

Le montant total du chantier s’élève à 803 822 euros, comprenant :

• – 116 000 € pour la dépose de la porte brûlée ;
• – 311 000 € pour la restauration de la pierre ;
• – 376 643 € pour la reconstruction, la quincaillerie, la pose et les dispositifs d’accès.

L’assurance couvre 628 557 euros, laissant un différentiel de 175 265 euros encore en discussion. Les dommages et intérêts dus par les personnes condamnées pour l’incendie seront fixés ultérieurement.

Un ouvrage transmis aux générations futures

L’inauguration du 12 décembre 2025 à 18 heures, en présence du Conseil municipal des enfants, signale la volonté de transmettre ce patrimoine restauré aux jeunes générations.
Pierre Hurmic a d’ailleurs rappelé les mots de Victor Hugo, invitant Bordeaux à « embellissez la ville nouvelle, conservez la ville ancienne », une formule qu’il estime en parfaite résonance avec l’esprit de ce chantier.

Par son retour, la porte du Palais Rohan ne fait pas que refermer l’entrée de l’Hôtel de Ville : elle ouvre un nouveau chapitre mêlant mémoire, savoir-faire et attachement collectif. Sa renaissance témoigne d’un patrimoine bordelais vivant, partagé, et toujours capable de susciter l’émotion.