Vendanges et Immortalité
Charlie a changé de vocation, d’assistant de juge il est devenu vigneron, mais il a un secret. (Chapitre 2)
Malgré sa soûlographie quasi quotidienne qui lui conférait une humeur égale et joyeuse, Silé était un homme de cœur. Il était petit, très costaud, mais possédait une paire de jambes maigres. Son visage plutôt laid n’inspirait pas l’horreur, mais plutôt la sympathie. Le soir nimbait la nature d’une ombre bleutée. Dino invita Silé à venir admirer le soleil se coucher sur la vigne tout en dégustant une bonne bouteille. Silé accepta avec enthousiasme.
Alors ! comment vont tes bonnes femmes ?
Silé était dans la confidence. Dino soupira.
Il en est arrivé une autre, tout à l’heure.
Elle est belle ?
Qu’est-ce que cela peut bien te faire ?
À moi rien, mais à toi ?
Dino sembla réfléchir.
Oui, mais elle a l’air triste, encore une qui a bien dérouillé. Bon parlons d’autre chose, tu viens boire un coup à la maison ?
Bien sûr !
Les deux amis prirent le chemin de la ferme pour y prendre une bonne bouteille. Pendant ce temps Ariane faisait connaissance avec les autres femmes. On lui montra sa chambre ; petite, très simple avec un lit une place. Elle rejoignit les autres au réfectoire. Les femmes avaient quitté leurs tenues d’apicultrices et discutaient gaiement. Tous se retournèrent vers la nouvelle venue. Une femme plus âgée se leva pour présenter Ariane.
Mes chères amies, laissez-moi vous présenter une nouvelle venue dans notre chalet “les Hyades”, Ariane qui va rester avec nous quelque temps.
Les femmes répondirent en cœur d’une manière presque comique ;
Bonjour Ariane !
L‘accueil joyeux rassura Ariane qui se détendit jusqu‘à ce que son téléphone grince sa sonnerie menaçante dans sa poche. Celle qui l‘avait présenté et qui semblait être la chef se précipita pour lui prendre son téléphone des mains. Elle l‘éteint aussitôt.
On te recherche ?
Oui
Tu tiens à être retrouvée ?
Non, bien sûr.
Alors il va falloir te débarrasser de cet appareil !
Elle lui rendit le téléphone. Ariane sembla réfléchir puis le posa sur le sol et le piétina. La femme ramassa l‘objet tout aplati pour en extraire la carte Sim, prit un couteau dans un tiroir et la coupa en morceaux.
Maintenant tu es libre !
Ariane frissonna, sourit et s‘attabla avec les autres.
Pendant ce temps, Dino et Silé chantaient à pleine voix. Assis autour d‘une table installée là en pleine nature pour déguster un casse-croute fourni par Silé et boire la lumière dorée du couchant sur la vigne. Dino commença un chant roucoulant et rauque. Silé étonné lui demanda :
Quelle langue parles-tu ?
Le corse, ma grand-mère était corse, tu le sais bien !
Tu rigoles, c‘n’est pas du corse ! Je les connais par cœur les chansons de mémé ! Tu te moques de moi !
Dino interloqué sembla réfléchir.
Peut être bien finalement, sais pas… ça me sort comme ça ! Et il éclata de rire, un rire fort et immense qui le fit lui-même sursauter. Le couteau qui avait déjà entamé une tranche de pain épaisse dérapa et entailla son pouce droit. Il poussa un juron. Du sang s‘écoula sur la terre. Sil regarda songeur la petite flaque vite absorbée.
La nuit finit par envelopper la nature de sa tendre obscurité.
Le lendemain, Silé revint sur les lieux de leur libation de la veille. Il fit le tour de la table et constata ce à quoi il s‘attendait : à l‘endroit où le sang avait coulé, un arbuste avait poussé, grand au moins de cinquante centimètres. De gros fruits dorés, des grenades, avaient poussées ouvertes et rouge comme des plaies, gorgées de graines écarlates. Cet étrange miracle ne sembla pas étonner Silé. Il murmura :
Ça y est, ça commence et en plus il chante en grec !...
Dans le chalet « les Hyades », la nuit s’était écoulée dans une douceur qu’Ariane n’avait plus connue depuis des années. Six mois après leur rencontre, elle s’était mariée avec un homme un peu plus âgé qu’elle qui l’inonda de cadeaux et de compliments. Ces attentions auxquelles elle n’était pas habituée l‘émerveillèrent. Elle vivait sur un nuage de bonheur qu’elle n’aurait jamais cru possible. Hélas, en quelques mois, le prince charmant se transforma. Son mari commença insidieusement par lui asséner des réflexions désagréables sur sa façon de s’habiller, puis sur sa façon de cuisiner alors que lui-même ne savait pas faire cuire un œuf correctement. Elle se remit en question, mais ses efforts ne changeaient rien. Bientôt, c’est sur sa façon de parler qu’il lui fit des reproches. Quand ils recevaient des amis ce qui devint rapidement de plus en plus rare, il n’hésitait pas à la reprendre ou à se moquer d’elle. Elle ne savait que faire, elle sentait bien qu’il exagérait, mais elle l’aimait tant qu’elle préférait penser qu’il ne voulait que son bien, et c’est d’ailleurs ce qu’il lui disait de sa douce voix suave. Mais, tout recommençait. Les réflexions devinrent des remontrances pour se muer en insultes et finir fatalement par des coups.
Ariane se souvint de son mariage avec cet homme qui s’était mué insidieusement en bourreau. Après chaque crise, il s’excusait, lui promettait de ne pas recommencer, il lui disait même qu’il se détestait d’être ainsi, qu’il l’aimait comme il n’avait jamais aimé personne !
Un jour il frappa si fort qu’elle tomba et se cogna contre le meuble de la cuisine entaillant son crâne qui se mit à saigner énormément. Elle perdit connaissance. Quand elle se réveilla, il était parti. Elle se releva et vit son visage dans le reflet du carreau de la fenêtre qui donnait sur le balcon. Son visage était couvert de sang.
À suivre mercredi prochain.
Ecrit par Marie-Laure Bousquet
Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk