Querelle de voisinage

Querelle de voisinage : Chapitre II

Deux voisines à la suite d’une dispute terrible se vouent une haine farouche, mais le destin va s’en mêler. (2ème chapitre).

Le mari de Mathilde n’était certes plus exactement le compagnon séducteur d’autrefois, il ne restait qu’un gentil fantôme reliquat du jeune homme joyeux et amoureux du passé. Un peu replet, un peu chauve, un peu râleur, mais il lui tenait toujours aussi confortablement chaud dans son lit et dans son cœur les soirs d’hiver. Mathilde blêmit devant le bout de tissu bariolé qui n’offrait aucune ambigüité quant à son propriétaire. C’était bien la cravate d’Aymar !

Sans réfléchir, elle se jeta sur Miranda et les deux quinquagénaires énervées roulèrent dans la rue en s’arrachant les cheveux comme deux diablesses de Tasmanie en furie.

Elles se vouaient une haine tenace depuis tant d’années que ce jour-là, elles en vinrent aux mains dans la rue, sans se soucier du pénible spectacle qu’elles offraient aux passants divisés entre curiosité et horreur. Tout à coup, il y eut comme un drôle de silence et la foule qui s’était assemblée se figea. L’atmosphère s’embruma et tout disparut sauf les deux femmes.

Un homme apparut, comme assis dans le vide, vêtu d’une chemise ocre, un bandeau de fakir sur sa tête. Mathilde et Miranda s’immobilisèrent. Elles se relevèrent vaguement gênées et virent arriver Aymar et Paulo le mari de Miranda derrière l’homme. Le fakir cria en levant le bras :

- Stop !

Les maris pétrifiés ne bougeaient plus. Osiris le chat de Mathilde qui passait par là, s’arrêta lui aussi, comme pris dans le plâtre. Les bruits de la rue cessèrent.
Les deux femmes se regardaient étonnées ; l’homme avait arrêté le temps, les maris des deux femmes ne bougeaient plus et même le chat, les babines frémissantes, ressemblait à une photo de propagande pour croquettes. L’homme dit d’une voix calme :

- Je suis affligé de voir un tel comportement mesdames. Jusqu’où allez-vous aller ? Jusqu’à la mort ?

Effrayées, elles murmurèrent un petit « non »

- C’est pourtant le chemin que vous êtes en train d’emprunter ! je connais votre avenir ! Vous savez, la vie future des imbéciles n’offre pas de surprise qu’elle soit bonne ou mauvaise. La route de votre destin est droite et très courte.
Voulez-vous changer cet avenir ?

Un petit oui fut marmonné.

- Alors, prouvez-le !

Mathilde et Miranda virent disparaitre l’homme, et tout ce qui les entourait. Elles n’étaient plus du tout au même endroit. Elles levèrent les yeux ; au-dessus de leur tête une immense verrière et tout autour d’elle une étrange jungle de grands arbres tels le ficus de Miranda dans sa véranda, mais géant ou bien la fougère de Mathilde en cent fois plus longue qui dégringolait du haut de la bordure d’un mur de pierre. Elles reconnaissaient leurs plantes qui trônaient chez elles sur de petites sellettes, mais qui là, en ce lieu étrange, s’étalaient orgueilleusement en arbres immenses. Elles se regardèrent éberluées.

- Je dors c’est ça ?

Miranda donna non sans un petit plaisir malsain une gifle à Mathilde.

- Mais ça ne va pas non !

- Je voulais vérifier si tu dormais.
Elle n’avait pas fini sa phrase que Mathilde lui assénait à son tour une claque magistrale qui l’envoya valser sur un buisson d’amaryllis beau comme le bouquet qu’Aymar avait offert à Mathilde pour ses cinquante-trois ans.

- Stop, ça va j’ai compris !

Miranda se frotta la joue. Elle se releva péniblement et pendant un instant, Mathilde eut envie de l’aider. Elle se retourna pour ne plus la regarder.

- On ne dort pas, c’est certain, mais où sommes-nous ? Tout me semble familier.

- C’est vrai, moi aussi, j’ai l’impression bizarre d’être chez moi.

- Il faut sortir d’ici et rentrer à la maison.

- Bien entendu et j’ai une blanquette de veau sur le feu, évidemment, tu ne comprends pas cela, toi c’est les petites graines et les poireaux que tu consommes comme les vaches...

Miranda qui n’aimait que l’on adopte un ton aussi autoritaire se sentait insultée.

- Ton Paulo va s’en occuper, il n’est pas idiot que je sache ? Et tu ne crois pas que nous avons un problème autrement plus important ? Quant à mon régime alimentaire, il ne te regarde pas et puis les vaches ne mangent que du foin ou de l’herbe, pauvre inculte !

- Tu vas te calmer, où je t’en recolle une !

- Arrête ! tu me fais peur avec tes bras de vieille morue, qu’est-ce que tu crois ?

Elles se rapprochèrent comme deux lionnes énervées prêtes à en découdre à nouveau. C’est alors que Osiris fit son apparition. Le mignon petit animal de Mathilde avait subi une sacrée métamorphose et si on n’avait pas reconnu la minuscule marque blanche sur son museau rien n’aurait distingué ce chat, d’une grande panthère noire. Mathilde et Miranda regardaient la bête toutes deux sidérées. Osiris quant à lui, ne semblait pas troublé par ce changement de taille et de poids. Quand il reconnut sa maitresse tout à coup si petite, il se jeta sur elle dans un mouvement affectueux. Elle tomba à la renverse. Miranda poussa un cri et tenta de dégager Osiris. Mathilde au bord de l’asphyxie, finit par émerger de la masse, hirsute et haletante.

- Risou ! lâche-moi !

Son ton était suppliant, car son animal de compagnie préféré tenait dans sa grosse gueule dentée la main de sa maitresse terrifiée. Miranda voyant cela l’appela doucement :

- Youhou, Osiris vient mon lapin.

Ainsi interpellée, la panthère se détourna de sa maitresse pour rejoindre Miranda qui accueillit la tendresse envahissante de l’animal. Mathilde se releva.

- Qu’est-ce que c’est que ça, tu connais drôlement bien mon Osiris, c’est quoi encore ces manigances que tu fais dans mon dos ?

- Je crois que je viens de sauver ta main, il me semble que je mériterais un peu de gratitude.

- Comment ça sauver, il ne me faisait pas mal, il m’adore.

Soudain un énorme rat traversa devant Mathilde entrainant à sa suite le brave Osiris qui n’aimait rien moins que de rendre service à sa patronne pour la débarrasser des rongeurs. Mathilde devant ce qui était à l’origine une petite souris se sentit un peu défaillir.

La suite mercredi prochain !

Ecrit par Marie-Laure Bousquet

Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk


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