Bordeaux

L’Institut Culturel Bernard Magrez avait organisé, lundi 13 juin, une rencontre avec l’acteur et metteur en scène Jacques Weber. Le comédien français attire les foules, et c’est une salle comble qui l’accueille et l’écoute répondre aux questions de Benoît Lasserre, grand reporter chez Sud Ouest.



On a l’impression que la modération vous ennuie, que vous êtes plutôt porté vers l’excès, vous confirmez ?

Je dirai qu’avec l’âge, je commence à m’assagir. Je pense surtout que l’on doit trouver un équilibre entre les pulsions et la réflexion. Ces deux natures ont de bons côtés : les pulsions sont liées à la passion. Elles donnent l’énergie nécessaire à la révolte, aux « coups de vie ». D’un autre côté, nous vivons dans un monde complexe, on doit prendre le temps de réfléchir notre vie et nos actes.
Je trouve qu’aujourd’hui, c’est quelque chose qui nous manque terriblement. Les gens ont une peur panique du silence, qu’ils confondent bêtement avec le vide. Mais ma récente sagesse ne m’empêche pas de rester bouleversé et révolté face à la misère des peuples.

Pourquoi avoir refusé d’entrer à la Comédie Française ?

A l’époque, j’avais peur de l’alternance : un jour je pouvais jouer Tartuffe et le lendemain être un simple figurant. Il y avait également une tradition de la Comédie Française. Les comédiens avaient un jeu très guindé, absolument pas naturel. Et puis, il faut dire ce qui est, à l’époque, j’étais très con. On sortait de mai 68, j’étais un jeune manifestant de gauche. La Comédie était une institution trop conservatrice, trop marquée à droite.
A cette époque, j’ai même refusé de tourner dans Les Aventures de Rabbi Jacob, avec de Funès, parce que je considérai que c’était un cinéma de droite. La dame du casting m’avait dit au téléphone : « Je ne sais pas si t’es de gauche, en tout cas t’es con ! »

Si vous aviez accepté l’offre de la Comédie Française, votre vie aurait certainement changé, non ?

C’est vrai qu’aujourd’hui, je me pose des questions. Je ne regrette pas mon choix de l’époque. J’ai pu faire une très belle carrière sur les planches et jouer avec des gens formidables. Etre sur scène est une immense source de joie, j’ai eu beaucoup de chance, mais c’est une chance que j’ai provoqué.
De nos jours, la Comédie Française est un des rares théâtres qui peut encore prendre des risques et qui a les moyens de le faire. Ils disposent de subventions et d’une équipe de costumes, de décors… formidable.

Vous dîtes de vous que vous êtes un homme qui admire, pas qui est admiré…

Oui, je ne pense pas être quelqu’un d’important au cinéma. Jeune, j’ai eu un peu de succès parce que j’avais une belle gueule mais je n’ai pas fait tant de films que ça. Je trouve mon bonheur au théâtre. Que je sois face à une salle pleine ou que je joue pour une dizaine de spectateur, ma joie est égale.
J’admire d’autres personnes, ça n’enlève rien à ce que j’ai pu faire. Certains dans notre métier sont des génies à part entière. Gérard Depardieu, par exemple, en est incontestablement un. Si moi j’en étais un, ça se saurait. Il y a des gens qui sont de très grands acteurs, il se peut que j’en fasse partie, mais d’autres sont au-dessus.

Vous avez joué le rôle de Cyrano de Bergerac pendant très longtemps, est-il un modèle de vie pour vous ?

Cyrano est une pièce qui m’a bouleversé quand je l’ai découverte. D’autres m’ont ensuite dit que je les avais également bouleversés quand ils m’ont vu jouer. C’est tout simplement une œuvre qui prend aux tripes. La tirade des « non merci » montre bien le caractère profond du personnage. Il est troublant, paradoxal dans ce pacte entre la beauté et l’esprit. C’est ce qui plaît aux gens.
Cyrano de Bergerac, c’est un OVNI du théâtre, il y a une dramaturgie quasi-hollywoodienne.

J’ai longtemps joué ce personnage. Lors de ma dernière représentation dans ce rôle, il s’est passé une histoire totalement folle. Il est de coutume d’offrir des fleurs au comédien lors de son dernier spectacle. Ce soir-là, je n’avais rien eu avant d’entrer en scène. Je fais donc mon spectacle, puis nous saluons à la fin. Je m’avance un peu sur la scène et le rideau tombe derrière moi. Lorsqu’il se relève, mes camarades s’avancent un à un sur scène avec des bouquets dans les bras, des pétales tombent du plafond sur moi et le public continue à applaudir. La scène était surréaliste, j’étais vraiment ému. Je n’ai pas su quoi faire, je me suis alors prit pour Johnny Hallyday : j’ai retiré mon nez et je l’ai lancé dans le public ! Et il est retombé… sur Gérard Depardieu ! Un an ou deux avant qu’il interprète lui-même le personnage dans le film de Jean-Paul Rappeneau.

Pensez-vous que la mise en scène des œuvres classiques doit être dépoussiérée ?

Si vous me permettez, la question est mal posée. Lorsqu’on aborde la question de la mise en scène, quelque soit l’œuvre, il faut avoir plein de questions en tête et aucune certitude. Le point de repère c’est le texte : ce qu’il dit, ce qu’il suppose, ce qu’il met en jeu…
Dans toute pièce de théâtre, ce qui permet l’équilibre miraculeux du théâtre, c’est le comédien. C’est son savoir-faire et son instinct, sa part sauvage qui permettront de donner vie à tout cela. Mais encore faut-il que le comédien ait la liberté de s’exprimer.
En réalité, il n’y a pas de vérité définitive au théâtre, c’est une chose vivante. De même qu’il n’y a pas de tradition française du théâtre, seulement de mauvaises habitudes.
Le métier de metteur en scène est une affaire d’humilité, de technique et de sauvagerie, de sincérité totale.

Vous êtes également l’auteur de plusieurs livres, que pensez-vous de ce que l’on appelle la « littérature commerciale » ?

C’est un phénomène ancien, mais comme pour le reste, aujourd’hui, il y a une rupture de l’équilibre. Néanmoins, tout est très arbitraire et l’on doit faire attention. Le terme de « littérature commerciale » change en fonction des époques, et selon les critères de sélection, on risque de passer à côté de vrais chef-d’œuvre. Je défends l’absolue nécessité de rester curieux pour éviter la monotonie et laisser la liberté d’expression à tout le monde. J’éprouve beaucoup de respect pour les livres écrits ; si l’un d’eux ne me plaît pas, libre à moi de ne pas le lire mais je ne veux pas censurer qui que ce soit.

Ecrit par Cécile Darrivère

Etudiante Ecole de journalisme de Lille


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