Dimanche 3 juillet 2016, les bacs à voile : Tante Sophie, l’Escalumade, le Pierre Mallet… ainsi que l’Argo II rallient les Passes du Bassin d’Arcachon - plus précisément la Réserve Naturelle du banc d’Arguin - à l’occasion des deux cent ans d’un épisode tragique, une des plus grandes catastrophes de la marine française : le naufrage de la frégate la Méduse, immortalisé par le fameux tableau du peintre romantique Théodore Géricault : le Radeau de la Méduse.
En milieu de matinée, les vieux gréements se regroupent en regard de la jetée du Moulleau pour remonter ensemble jusqu’au banc où, Dimitri Delorme le garde animateur (SEPANSO), attendait la flottille pour entamer une première conférence sur l’histoire d’Arguin. Aprés une pause déjeuner, la visite de la réserve se poursuit jusqu’à 16h environ. Puis retour des bacs à voile aux différents ports d’attache (Arcachon, La teste, Gujean…)
Bordeaux gazette : Arguin, pourquoi ce Nom ?
Dimitri Delorme : Le banc ne s’est pas toujours dénommé ainsi : le 2 juillet 1816, quatre vaisseaux français naviguent au large des côtes mauritaniennes, en direction du Sénégal. Pour la petite histoire, l’Angleterre s’était vu obligé de restituer cette colonie à la France. L’Argus, la Méduse, ainsi que deux autres vaisseaux ont pour mission d’y conduire le nouveau gouvernement, quand la Méduse dirigée par Hugues Duroy de Chaumareys, capitaine qui n’avait pas navigué depuis 25 ans, s’échoue sur le banc de sable d’Arguin. Suite au naufrage, environ cent cinquante passagers parviennent à se maintenir à la surface, les premières heures, au moyen d’un radeau de fortune … après une douzaine de jours, moins d’une dizaine de personnes parviendront en vie à Saint Louis du Sénégal, en ayant enduré la soif, la faim, la folie et même le cannibalisme. Ce fait deviendra un scandale d’ampleur internationale, en raison de la responsabilité de cet officier de marine jugé incompétent.
En 1835, l’hydrographe de la marine royale, M.P. Monnier, est envoyé dans notre région pour cartographier le Bassin et les passes ; en constatant les similitudes entre ces sites africains et aquitains décide de donner le nom d’Arguin aux bancs arcachonais, bien connus depuis sous ce nom.
- Dimitri Delorme, garde animateur du Banc d’Argin
Bordeaux gazette : qui a imaginé cette journée de commémoration ?
Pierre Decoudras : de passage en Mauritanie il y a trois ans, j’ai proposé il y a quelques semaines cette journée de commémoration aux instances de la réserve, avec qui s’est organisé l’événement.
Parlons de la période récente de ce site remarquable. Quel est le rôle de la SEPANSO ; son équipe ?
Cette association loi 1901, crée en 1969, reconnue d’utilité publique depuis 1982, c’est l’histoire d’une mobilisation au service de la nature, de plus de quarante cinq ans, portée par des bénévoles militants aux compétences complémentaires. Membre de France Nature Environnement et engagée dans un vaste réseau associatif, elle est présente sur toute l’Aquitaine pour préserver les milieux et la biodiversité ; elle a bien sûr un rôle de lanceur d’alerte et s’avère un interlocuteur officiel reconnu des pouvoirs publiques ; ainsi qu’une force de proposition en participant à des projets locaux. La création de la réserve du banc d’Arguin dès 1972 en est une illustration.
Dans la seconde moitié des années soixante, les colonies de sternes caugek (Thalasseus sandvicensis) finalement délogées des Pays Bas par les aménagements de polders, font alors étape à l’entrée du Bassin, durant la migration nord sud, en direction des côtes mauritaniennes où ils passent ensuite chaque hiver - un parc naturel a été crée en Mauritanie à partir de 1976 (classé patrimoine mondial en 1989) où se regroupent jusqu’à 30000 sternes ? Or l’escale de ces oiseaux sur le Bassin d’Arcachon ne se passe pas pour le mieux ; des œufs sont cassés par les équipages des bateaux présents sur le banc. Dès 1966, la mairie de La teste, dont fait partie ce secteur, tente de mettre en place une surveillance de la zone ; puis la SEPANSO sera crée ; enfin la réserve voit le jour en 1972.
A titre de comparaison, le Parc national mauritanien s’étend sur 12000 km², tandis que la Réserve naturelle du bassin en comporte environ 2500 sous la surveillance d’une équipe de cinq personnes : le conservateur et quatre gardes. Depuis le début de cette aventure de plus de 45 ans, Pierre Davant préside au destin de la Société pour l’Étude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud Ouest…
Bordeaux gazette : quel bilan faites vous du chemin parcouru depuis 1972 ?
Dimitri Delorme : malheureusement, au cours de ces dernières décennies, les régions littorales attirent toujours plus d’habitants (l’OCDE prévoit que plus de 75 % de la population sera localisé sur les côtes à l’horizon 2035) ; entraînant inévitablement toujours plus de bateaux, de moteurs plus puissants sur les plans d’eau et le Bassin ne fait pas figure d’exception à cette tendance malheureuse pour l’environnement. La conséquence la plus marquant est l’évolution des herbiers du Bassin ; formés de zostères (ce sont des plantes à fleurs, à ne pas confondre avec des algues, qui présentent une importance capitale pour la biomasse), ils sont en danger car le bassin versant de la Leyre rejette tous les produits toxiques d’une agriculture très intensive dans la région Aquitaine. Alors même que si le mouillage est interdit, les herbiers de zosters reprennent du terrain ; des hippocampes peuvent également réapparaître, signe d’une eau plus propre !
Il en va de même des dauphins qui, du large où ils vivent, peuvent faire des incursions dans le bassin, sans y demeurer pour autant depuis 2001, année où s’est éteint la petite colonie d’individus qui faisait le bonheur des amoureux de ces mammifères marins. Est ce le bruit sous marin des bateaux, assourdissant en été, que les delphinidés supportent mal ? Les filets dans lesquels ils finissent piégés ; la pollution… probablement un amer cocktail de tout cela.
Et toujours moins d’oiseaux dans la réserve. Il est de toute façon très difficile de protéger des oiseaux tout au long de leur migration jusqu’en Mauritanie.
Bordeaux gazette : comment voyez vous l’avenir, plus particulièrement dans le cadre du nouveau Parc Naturel Marin (qui réunissait lundi après midi, son 5ème conseil de gestion à la maison des associations de Gujean Mestras) ?
D. Delorme : je n’attends pas vraiment d’effet, si ce n’est que la naissance du Parc à permis de mettre en présence des parties aux intérêts à priori antagonistes (Professionnels de la mer, plaisanciers, environnementalistes…). Il est à noter qu’une réserve est un outil réglementaire, dont le but premier est la conservation des habitats et des populations ; elle a pour cela des moyens légaux. Même si Arguin - par malheur, une fois encore - est une des réserves de France la plus permissive qui soit : car elle accueille un tourisme de masse sur quatre mois de l’année et une activité ostréicole peu souhaitable. Tandis qu’un parc est seulement un outil contractuel… qui amène à trouver des compromis autour d’une table de négociation.
- L’Argo
Bordeaux gazette : il serait question de rendre annuelle ce type de manifestation, privilégiant une journée bateaux sans moteur (voiliers, bateaux électriques…), un peu à l’image des journées sans voiture dans les grandes villes ?
Dimitri Delorme : oui nous allons essayer de sensibiliser le publique, plutôt à l’occasion d’une journée anniversaire, par exemple celle de création de la réserve comme le souhaiterai la SEPANSO. Cela promet de ne pas être simple d’interdire l’accès du site aux bateaux à moteur !
Ecrit par Vassof