Née en 1812, officiellement en 1813, et ayant publié son premier ouvrage (une histoire de l’Espagne) en 1814, la Librairie Féret est la plus ancienne maison française après Belin. Autre record, son ouvrage principal, "le Bordeaux et ses vins", édité en 1850, est le plus ancien ouvrage de référence toujours édité par la même maison, devant le Petit Larousse. Au total en deux siècles, Féret a publié quelque 1 400 titres ; la maison qui est toujours l’un des éditeurs de référence sur le vin possède aujourd’hui un catalogue de plus de 200 titres. Quand nous avons décidé avec Bruno Boidron, le directeur des Editions Féret, d’écrire l’histoire de Féret une question s’est très vite imposée : qu’est-ce qui explique la longévité de Féret ?

La réponse me semble être triple .
La 1re explication est la continuité du travail chez les Féret. Maison familiale de 1812 à 1992, Féret a presque toujours fonctionné avec à sa tête des binômes, composés de deux frères ou d’un père et son fils. Le plus célèbre de ces duos étant celui composé par Edouard Féret, la grande figure de la dynastie et son frère Emile. Au premier revient la charge de développer les éditions, ce qu’il va faire au-delà de toute attente, tandis que le second se consacre principalement à la librairie. La continuité du travail familial passe aussi par un long apprentissage. Tous les Féret commencent par faire leurs armes dans l’entreprise familiale – parfois aussi chez des éditeurs amis – avant d’en prendre la direction. S’il dure plusieurs années, c’est pendant son apprentissage est aussi très actif. Ainsi c’est durant cette période qu’Edouard transforme le guide touristique de Charles Cocks en un guide du vin.

La 2e explication du succès des Féret tient au fait que ce sont des libraires-éditeurs, comme tous leurs collègues de l’époque, et des libraires-éditeurs engagés et passionnés. Quand Jean-Baptiste crée la librairie, ses premiers titres sont engagés dans le combat anti-clérical avec des ouvrages comme "Les Capucins", une charge contre l’immoralité de certains religieux. Un siècle après, Charles s’associe à un éditeur de Toulon pour éditer "Femmes esclaves", un livre qui remet en question la complaisance des autorités françaises envers le traitement des femmes dans le système traditionnel africain. Avec le temps, les Féret sont moins engagés dans la littérature de combat. Mais ils restent des éditeurs passionnés. Notamment par le monde du vin. Edouard ne se contente pas de faire évoluer le Bordeaux et ses vins pour en faire « la bible du vin de Bordeaux ». Des guides « œnotouristiques » aux manuels pratiques en passant par les produits dérivés, il invente toutes les formes d’édition viti-vinicole possibles. Les décennies passent, la conjoncture change, mais la passion reste. En 1962, Claude, le petit-fils d’Edouard, n’hésite pas à publier le Dictionnaire du vin de Renouil, un monument qui lui coûte non pas « un bras » mais une maison, au sens propre du terme.

La 3e explication est le fait qu’il existe un esprit maison. Libraires comme éditeurs, les Féret sont avant tout des humanistes. Particulièrement sensible dans les relations au sein du personnel et entre les libraires et les clients du magasin, ce caractère nous a été confirmé lors des conférences tenues avec Bruno Boidron dans des bibliothèques à l’occasion du bicentenaire. Non seulement la librairie Féret toujours présente dans les mémoires, mais souvent ces souvenirs sont émus ou nostalgiques, comme celui de cet ancien étudiant qui a rappelé l’existence d’un petit bureau permettant aux étudiants ou chercheurs de venir prendre des notes sur des livres sans avoir à les acheter. Tout cela a fait de Féret une maison d’édition un peu particulière ; pour preuve à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, quand la plupart des éditeurs diminuent leur programme de production sur le vin, Féret augmente le sien, avec de nombreux ouvrages techniques. Malgré tout Féret a bien failli disparaître. Heureusement, il y a eu un « passeur » , Marc-Henry Lemay, le beau-fils de Claude Féret qui a su trouver des investisseurs, prêts à se mobiliser pour Féret. Marc-Henry Lemay a aussi été l’homme qui a fait passer le savoir-faire que représente l’édition d’un ouvrage comme le Féret.

Aujourd’hui on peut regarder cette histoire et cette mémoire avec nostalgie, en songeant à la librairie de la rue de Grassi, mais aussi prendre conscience que cet élément du patrimoine bordelais qu’est Féret constitue un atout pour la capitale aquitaine. Elle vient de le prouver en rééditant la remarquable thèse de Philippe Roudié sur le vignoble de Bordeaux 1, un outil indispensable pour les historiens mais aussi pour les professionnels du vin. Grâce à son alliance avec le vin – et plus particulièrement le vin de Bordeaux – c’est une maison d’édition avec un rayonnement national voire international qui a son siège à Bordeaux, c’est-à-dire que c’est à Bordeaux qu’est prise ou non la décision de publier un ouvrage.
Par patriotisme local, qui manque parfois – comme le patriotisme tout court – à certains de nos dirigeants ; mais aussi dans l’intérêt de la ville et de la région, il faut tout faire pour garder Féret et le Féret à Bordeaux et qu’il y ait dans un siècle un tricentenaire à célébrer.

Etaient présentés au CIVB le 18

1 Vignobles & vignerons du Bordelais (1850-1980) 526 pages, 56€40 de Philippe Roudié

Féret la mémoire de Bordeaux et ses vins 160 pages, 14€50 d’Antoine Lebègue

Réédition de la 9e édition de Bordeaux et ses vins (de 1922) 1126 pages, 60€00.