A l’origine de ces rencontres se trouve la blogueuse bordelaise bien connue Ségolène Lefèvre, qui a eue l’heureuse idée d’inviter à Bordeaux Mr Yu Zhou, auteur de La baguette et la fourchette, paru chez Fayard en 2012. Né à Shanghai, où l’ancienne concession française est soigneusement conservée, et stimulé par sa mère, passionnée de littérature française, Mr Yu a pu se familiariser très tôt avec la langue de Molière. Parfaitement bilingue, il a choisi, il y a une dizaine d’années, de venir en France où il enseigne le chinois.
En France il a découvert avec surprise la place qu’occupe la cuisine et les vins dans la civilisation. Les Français ne se contentent pas de manger pour se nourrir. La nourriture, qu’il s’agisse des mets ou des vins, constitue un sujet de conversation. Les grands cuisiniers sont des gens dont on parle. Il existe autour du repas, des restaurants et de la cuisine une atmosphère. La gastronomie fait partie de l’art de vivre. Même si Yu Zhou avait été sensibilisé en Chine par un oncle cuisinier et s’il s’intéressait déjà à la question avant de venir en France, son arrivée dans l’Hexagone lui a révélé une dimension nouvelle de la gastronomie : la relation des Français avec la nourriture rend exceptionnel ce qui est presque banal ailleurs.
Cette découverte de la gastronomie française a conduit Yu Zhou à réfléchir sur les différences existant entre les approches chinoises et françaises de la cuisine, en essayant de voir les spécificités culturelles qui se cachent derrière. A commencer par la principale que constitue l’organisation du repas. En France les mets se succèdent avec un ordre établi, des entrées aux desserts. En Chine tous les plats (10 ou 12) arrivent en même temps et chacun pioche au gré de ses envies. Cette dernière conception implique une démarche altruiste, car le code de bienséance exige de se servir sans gêner les autres convives. Il faut donc bien choisir le morceau que l’on veut prendre pour le saisir du premier coup avec les baguettes. L’usage des baguettes est une autre différence majeure, d’où le titre de l’ouvrage. En France nous disposons en effet d’une panoplie de couverts, avec chacun sa spécialité : couteau à viande, à fromage, fourchette à poisson etc.
Dans certains cas les différences sont encore plus profondes. Ainsi les Occidentaux n’apprécient pas la fadeur alors qu’en Chine elle constitue une saveur comme les autres. L’exemple le plus frappant est celui du riz sans sauce ou sans condiment. Seuls les jeunes enfants sont autorisés à ne pas l’apprécier. Cette approche de la fadeur est un fait culturel bien ancré qui remonte à Lao-Tseu. De même que les mélanges mets pour élaborer dans son assiette le plat qui est consommé. Ou le fait pour les chefs et auteurs chinois de ne pas donner de dosages précis dans leurs livres de recettes. Ils appliquent un principe de Lao-Tseu : « Le livre est figé, l’homme est vivant. » En revanche les cuisiniers chinois ont du mal à mettre en valeur la matière première avec une viande grillée ou un poulet rôti.
Pour compléter agréablement l’approche livresque du sujet chez Mollat, Ségolène Lefèvre et l’association des Bibliothèques gourmandes avaient prévu des « travaux pratiques » dans le restaurant les frères Shan, Au Bonheur du Palais (74 rue Paul-Louis Lande). Une adresse que ne connaissait pas Yu Zhou mais qu’il a fait sienne, séduit par la gentillesse de Tommy et Andy Shan comme par l’authenticité et la subtilité de leur cuisine, véritable conservatoire vivant du savoir-faire du Sichuan et de Canton.

La Baguette et la Fourchette, les tribulations d’un gastronome chinois en France,
par Yu Zhou,
Fayard Paris 2012.
198 pages
ISBN 978-2-213-66593-1
Au Bonheur du Palais
74 rue Paul-Louis Lande
Bordeaux

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