On ne refait pas l’histoire

On ne refait pas l’histoire : Chapitre I

Des enfants adoptés par un étrange médecin se posent des questions sur leurs véritables parents.

Le petit garçon examinait l’homme avec curiosité. Bon ! Il venait d’apprendre beaucoup de choses passionnantes et surtout la plus importante, c’était que dorénavant, il était libre. Ce type n’était pas son père et donc, il n’avait plus d’ordre à recevoir de lui.

Ce petit rouquin de huit ans ne manquait pas de caractère, il ne fit aucun commentaire, gardant pour lui-même les conclusions qu’il venait de tirer de cette bonne nouvelle. Il tourna les talons et repartit jouer. Le professeur qui lui avait fait office de père ne fut pas vraiment étonné de la réaction du petit, il savait qu’il lui faudrait un peu de temps pour digérer la nouvelle. Il nota soigneusement tout ce qui venait de se passer, dans son carnet, se promettant de le retranscrire dans le dossier RAM.II.

Une fois dans la cour, l’enfant courut tout joyeux jusqu’à un groupe d’enfants.

- Dis donc Cléo, tu ne sais pas la nouvelle ! Et bien papa ce n’est pas mon papa !

La petite fille à qui il venait d’annoncer la chose et qui n’était guère plus âgée que lui, répondit :

-  Je sais, il n’est pas le mien non plus.

-  Mais alors ! Tu n’es pas ma sœur ! On va pouvoir se marier !

-  Ah non ! c’est dégoûtant !

-  Bon, d’accord et Napo c’est mon frère ou pas ?

-  Bin non, banane, c’est pareil, Théocrates a piqué des bouts de cadavres et il a tricoté des enfants, et c’est nous ! comme un Frankenstein, mais avec un seul macchabée à la fois !

-  Qui ?

-  Tu devrais essayer de lire quelquefois, tu serais moins naze !

La fillette prénommée Cléo, très jolie petite brune impatiente, avait dit cela durement. Elle soupira en pensant aux explications qu’il allait bien falloir qu’elle lui donne. Elle avait bien vu toutes les messes basses de leur « père » avec la « grand-mère ». Un soir où le couple mère fils, était parti faire des emplettes au supermarché du coin, son esprit curieux la mena jusqu’au bureau dont la porte comportait placardée en grand un écriteau : « interdit aux enfants ». Très intelligent, il lui avait suffi de quelques documents pour tout comprendre. Les enfants de cette fratrie n’avaient aucun lien de parenté ni entre eux ni avec ce type. Elle en était soulagée, en effet, le professeur Théocrates n’était ni n’aimant ni aimable.

Évidemment, le déroulement exact de cette histoire lui échappait, il était noté dans un dossier secret. Il y avait cela une quinzaine d’années, exactement un 13 mai, à Notre-Dame des victoires à Lisieux, le faux père qui n’en était pas encore un, contemplait ce jour-là, le cortège qui emportait le reliquaire de Thérèse la fameuse sainte.

Dubitatif devant la phalange desséchée, il se prit à s’interroger sur la foi. Comment venait-elle à vous si vos parents ne vous l’inculquaient pas. Il imagina la petite fille, la douce et pieuse Thérèse, élevée dans un foyer sans religion. Il connaissait sa biographie. Elle était, parait-il, très sensible, mais vers quoi se dirigerait alors cette sensibilité si la religion n’existait pas. Pas de Dieu, pas de saint, pas d’apparition. Il pensa qu’au moins de nos jours, on l’aurait guéri de la tuberculose. Une question en appelant une autre, l’esprit curieux du scientifique lui inspira tout à coup une idée qu’il trouva géniale. Il allait créer des conditions particulières et élever une petite Thérèse pour savoir si elle allait s’inventer un Dieu, s’il ne lui en fournissait pas un.

Théocrates, était un chercheur bardé de diplômes dans beaucoup de disciplines ; avec son savoir-faire et ses connaissances, il lui semblait que rien ne lui était impossible. Il n’avait pas rencontré la femme de sa vie, car le temps passant, son physique râblé et ses manières de vieux garçon rebutaient en général la gent féminine. Sa mère était la seule personne qui comptait un peu pour lui.

Il était enthousiaste ; elle serait une enfant merveilleuse, sans doute, il s’était mis à rire tout seul, il se trouvait génial, il allait se construire une famille. S’il restait un peu de substance vive dans les reliques de la sainte, il la trouverait. Voler de l’ADN, il savait le faire, même si cela lui demandait de passer outre plusieurs lois. Il se sentait très malin, le plus malin de tous.

Il échafauda rapidement un plan extraordinaire. Son esprit tortueux évalua les risques qui lui parurent mineurs. Le travail dans la recherche s’avérant beaucoup moins rentable qu’autrefois, il quitta sa place et prétendit qu’il allait travailler dans le public. Sa mère s’étonna et lui proposa de l’aider pécuniairement, mais elle fut encore plus surprise quand il lui expliqua qu’il voulait travailler dans un musée.

Tous ses diplômes en avant, ce fut assez facile, il possédait entre autres un doctorat d’histoire de l’art qu’il avait passé à temps perdu. Le directeur le reçut et lui demanda pourquoi il briguait ce poste d’agent d’accueil, emploi modeste au regard de ses prestigieux diplômes. Il répondit que c’était là le seul poste libre et qu’il voulait à tout prix travailler dans ce musée en particulier. Devant le regard inquiet du directeur, il ajouta qu’il logeait à côté et que c’était très commode pour lui qui effectuait des recherches, de travailler à temps partiel. La réponse satisfit le directeur.

Il lui suffisait de travailler quelques mois au musée et d’attendre une opportunité pour prélever ce qui lui manquait. Personne ne remarquerait rien il remplacerait la phalange de Thérèse par celle d’un pauvre inconnu gisant dans son cercueil que Théocrates aurait volé dans une morgue. C’est bien cela qui lui causa le plus de problèmes. La nuit il essaya en vain de pénétrer dans le funérarium d’un magasin de pompes funèbres, mais une alarme se déclencha le pétrifiant sur place. Reprenant ses esprits, il prit la fuite. Il lui restait la boucherie, sa mère se proposa de l’aider en demandant un pied de cochon à son boucher, mais son fils lui signala que le sabot n’avait pas grand-chose à voir avec un orteil. Un soir de déprime, il se demanda s’il n’allait pas sacrifier un de ses propres orteils, mais heureusement, son regard se posa sur la sculpture qu’il avait faite étant enfant ; un vilain cendrier, et il vit, levant ses yeux au ciel, dans son imagination, l’image d’un orteil en terre glaise. Personne n’aurait l’idée de la toucher, une relique sacrée, on n’ose à peine la regarder, alors la tripoter, n’en parlons pas ! Ainsi il put faire l’échange. Un matin de très bonne heure, il souleva le couvercle du coffre qu’il avait pris soin de desceller jour après jour pour se saisir d’une phalange du pied de Thérèse, celui qui lui paraissait le plus gros et le moins abimé.

(Illustration MLB)

Ecrit par Marie-Laure Bousquet

Rédactrice à Bordeaux-Gazette, elle intervient le plus souvent dans les rubriques sur le théâtre. Elle alimente la rubrique « Et si je vous racontais » avec des nouvelles fantastiques ou d’anticipation. Elle est aussi l’auteure de plusieurs romans : Les beaux mensonges, La fiancée du premier étage, Madame Delannay est revenue, Le voyageur insomniaque, Enfin seul ou presque, Raid pelotes et nébuleuses. D’autres romans sont à venir. https://www.amazon.fr/Marie-Laure-BOUSQUET/e/B00HTNM6EY/ref=aufs_dp_fta_dsk


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