Bordeaux
C’est dans le cadre des désormais traditionnelles « Nuits du Savoir » chères à Bernard Magrez, que le directeur de l’Institut Culturel, Ashok Adiceam avait convié le professeur Jean-Didier Vincent de l’Institut Universitaire de France et de la Faculté de médecine de Paris, à venir nous initier aux mystères du fonctionnement du « cerveau », mais pas n’importe lequel, en l’occurrence « le cerveau amoureux ».
Jean-Didier Vincent membre de l’Académie des sciences est membre de l’Académie de médecine. Professeur de physiologie à la Faculté de médecine de l’Université ParisXI , le conférencier natif de la région (il naquit le 7 juin 1935 à Castillon la Bataille) nous fait tout de suite part du grand plaisir qui est le sien de se trouver à Bordeaux où il effectua une grande partie de ses études et de sa carrière, et remercie chaleureusement Bernard Magrez de l’avoir invité.
Truculent et passionnant
Apparemment étonné de la présence d’un nombreux public, le professeur Vincent non sans un petit sourire malicieux au coin des lèvres demande à l’assistance d’être attentive, car avec l’âge, « il m’arrive de m’endormir pendant mes conférences », dit-il !!! Et de préciser en guise d’introduction à son exposé : « L’ amour se passe dans le cerveau ». Car le cerveau est le premier organe sexuel de l’homme et de tous les animaux qui ont un cerveau. Sexe et amour ne se séparent pas dit-il, l’amour c’est du sexe avec du sens. Nous précisant qu’il ne parle ni de Philia (amour sans éros) ni d’Agape (amour du prochain). Selon Aristote l’amour c’est la joie, la fusion qui amène la jubilation, pour Platon, l’amour c’est le manque, l’état de manque, de quoi faire de l’amour le produit de la nécessité et du manque, dit-il. Et de nous dire pêle-mêle que le plaisir attendu est le moteur du désir, que le cœur n’est que l’alibi du corps, et que les hormones du cerveau vont conditionner le désir et le comportement sexuel.
Des mécanismes complexes
Si dès le début de la conférence, la truculence et l’humour du conférencier ont tout de suite provoqué les sourires du public, la description qui allait suivre, des mécanismes cérébraux en cause, allait s’avérer d’un abord moins amusant et assez complexe pour les non initiés. C’est dans l’aire antérieure de l’hypothalamus que s’exécute la musique du désir sexuel pour les hommes, hypothalamus qui est aussi l’endroit qui sert à manger, à boire et à dormir, autant d’activités qui ne sont pas étrangères au sexe. La région ventrale et médiane de l’hypothalamus est impliquée dans le comportement sexuel femelle. Et de préciser que les centres du comportement mâle coexistent avec les centres du comportement femelle dans les cerveaux des deux sexes. Que ces centres n’agissent pas seuls et que sont également concernées les zones qui interviennent dans la mémoire (aimer chez l’homme c’est souvent se souvenir), et les émotions, en bref tout ce qui donne un sens à l’amour au-delà de celui de se reproduire (l’odorat y joue lui aussi un grand rôle). Et que dans certaines structures on voit clairement la parenté de la violence, de l’agressivité et du sexe. Par ailleurs lors de l’accouplement des neurones de l’hypothalamus vont sécréter une hormone, l’ocytocine libérée dans le cerveau en réponse aux stimulations de la sphère génitale. La même ocytocine qui va activer le comportement maternel chez la femme lorsqu’elle accouche, ou lorsqu’elle est libérée au niveau du bulbe olfactif lui permettre de reconnaître son petit. « C’est un cerveau que les amoureux devraient graver dans l’écorce des arbres et non un cœur, et c’est dans le cerveau que naissent la jouissance et la souffrance, qui sont les acolytes du désir », ajoutera-t-il tout en recommandant des bains d’ocytocine ….
Conclusions
L’amour chez l’humain n’est guère différent « physiquement » de ce que l’on peut observer chez l’animal, mais chez l’homme il s’enrichit de toutes les capacités psychiques de l’espèce. Alors que l’animal ne parle pas, chez l’homme le discours amoureux est partie intégrante de l’acte sexuel. La Bible pour nous informer du passage à l’acte de deux époux nous dit d’ailleurs : « Ils vont se connaître ». Très souvent en raison de la parole, l’acte sexuel disparaît alors au profit du roman d’amour que vivent les deux amants, il y’a alors pénétration au niveau du partage des émotions. L’homme a besoin d’autrui, sinon il n’est rien, et c’est avec l’intervention des régions dévolues au langage et à l’imaginaire que le verbe « aimer » va prendre tout son sens. Autant de pensées évoquées pêle-mêle par un conférencier intarissable malgré la difficulté évidente qu’il rencontre à essayer de nous faire partager quelques notions élémentaires de neurophysiologie. Que la dopamine, le kiss-peptide, la leptine, la lulibérine et autre nucleus accumbens excusent une grande partie de l’auditoire de les avoir quelque peu ignorés, le public est néanmoins reparti content et quelque peu charmé au terme d’une nouvelle Nuit du Savoir réussie et féconde.
Ecrit par Dominique Mirassou