Bordeaux

Y a-t-il des indéfendables ? Voici le titre polémique et racoleur de la conférence donnée par Maitre Eric Dupont Moretti, avocat pénaliste, le mardi 4 septembre 2018 à l’Institut Bernard Magrez.



L’Acquittator, l’Ogre du Nord, Ténor du Barreau, n’est plus à présenter.

Devenu avocat par « détestation de la peine de mort », comme il le revendique dans son ouvrage, Directs du Droit (2017) et réputé pour ses 141 acquittements, mais aussi pour ses coups de gueule à l’égard de la magistrature, et pour son engagement politique marqué notamment par une aversion non dissimulée vis à vis du Front National.
Jacques Verges des temps modernes, il expose sa thèse, dès le début de sa conférence, en affirmant qu’il « n’existe pas d’indéfendables », seul celui qui ne veut pas être défendu peut être considéré comme tel. Dès lors la mission de l’avocat, du latin advocatus, comme il l’a si souvent rappelé, est de donner sa voix à celui qui n’en a plus.

Dernièrement Dupont Moretti était l’avocat d’Abdelkader Merah

Frère du terroriste de Toulouse et de Montauban ayant assassiné sept personnes en mars 2012 qui était entendu pour complicité de crimes, et qui sera finalement condamnée à 20 ans de réclusion criminelle pour « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». Il était alors une nouvelle fois décrié dans les médias et par l’opinion publique, qui ne comprenait pas qu’il puisse défendre cet homme.
Dupont Moretti répondra en affirmant qu’il était fier d’avoir défendu cet homme dont la culpabilité n’était pas établie. Il en profitera pour rappeler que lorsqu’un avocat défend un client, il ne défend pas un crime mais l’Homme qui a commis ce crime, et en affirmant que ce n’est pas parce qu’il « choisit de défendre un client qu’il fait une apologie du crime qu’il a potentiellement commis ».

Eric Dupont-Moretti n’a pas dédicacé d’ouvrage

Le ton ainsi donné, généralités sur généralités se sont alors succédées …

Il n’existe en effet pour « la bête noire des barreaux » aucun crime ou délit qui ne serait dû au hasard, ou qui résulterait d’un choix, il faut se pencher sur la vie du délinquant ou du criminel et remarquer que bien souvent il n’aura pas eu une enfance heureuse, qu’il n’aura pas reçu suffisamment d’amour, ou qu’il a à un moment donné dans sa vie manqué d’accompagnement. Le « petit baiser du soir » est pour lui un rempart contre la délinquance. Il faudrait pour vérifier cet argument, un peu simpliste malgré tout, avoir accès à tous les fichiers de l’institution judiciaire, et passer des heures à décortiquer la vie des criminels récemment condamnés.

Reprenons l’affirmation selon laquelle : « Personne n’est indéfendable ».

Cette phrase prononcée par un homme qui pourrait recevoir la palme d’or des acquittements, semble ainsi prendre une dimension particulière. Mais ne faudrait-il pas revenir à la définition même « d’indéfendable », et par conséquent de la « défense ». Cela nous permettra d’également nous interroger sur certains principes fondamentaux du droit pénal français.
Être défendable, c’est pouvoir être protégé, soutenu, contre quelque chose. En l’occurrence le travail de l’avocat, est de soutenir, de protéger son client contre d’éventuels vices de procédure, contre un procès qui ne serait pas équitable, c’est de s’assurer que son client ne soit pas présumé coupable, mais bel et bien innocent, jusqu’à ce que la preuve contraire soit apportée. Ainsi l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme, dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue devant un tribunal indépendant et impartial », tout mis en cause a donc droit à un procès, a donc droit à être entendu pour assurer au mieux sa défense, et ne doit pas être considéré comme coupable, alors même qu’aucune preuve n’est rapportée et que le doute de sa culpabilité subsiste.

Eric Dupont-Moretti, Pierre Blazi et Bernard Magrez

Cependant, qu’en est-il des cas où la culpabilité est établie ? Où les faits sont avérés ?

Qu’en est-il des situations où le mis en cause est indubitablement coupable d’atrocités sans nom ? Que reste-t-il à défendre ? Est-il réellement ici question de défense, ou plutôt de protection ? En effet, l’ « Homme », même coupable des pires crimes a droit à un procès, et a le droit d’être traité avec respect, et dignité mais le rôle de l’avocat dans de telles circonstances n’est pas de défendre son client, mais de lui garantir que ses droits ne seront pas bafoués. Ainsi, force est de constater qu’il existe des indéfendables qui devront pourtant être représentés pour que leur procès ne se transforme pas en lapidation judiciaire ou parfois, publique ; car au-delà de ce qu’il se passe à l’intérieur du tribunal, le mis en cause, doit souvent faire face à l’opinion publique, ensemble des convictions et des valeurs plus ou moins partagées, des jugements, des préjugés et des croyances de la population d’une société donnée.

Que vient faire l’opinion publique, si subjective, dans une salle d’audience qui se doit d’être indépendante et impartiale ?

La multiplication des médias y participe grandement, mais malheureusement l’évolution de la société est ainsi faite, cela a toujours existé, et fait partie de la vie d’un avocat mais aussi des magistrats, qui se doivent de la mettre de côté. Un bon juge d’après Maitre Dupont Moretti, est celui qui met de côté ses « a priori », et qui se donne le droit de douter. En est-il de même pour un avocat ? Cela compte-t-il vraiment lorsqu’il s’agit d’eux ? Ne sont-ils pas finalement les marionnettes de leurs clients, qui sont les maitres du procès ? Les clients ont le droit de mentir, ou de se taire, et le travail de l’avocat est à la fois de respecter ce choix, et de n’apporter aucun jugement.

Cette conférence avait sur le papier, tout pour mettre des étoiles dans les yeux à une étudiante en droit de 22 ans qui prépare le concours d’entrée à l’Ecole Nationale de la Magistrature, car même si l’on ne partage pas toutes ses idées, on ne peut que reconnaitre la grandeur de l’homme et de l’avocat et admettre que son charisme ne laisse personne indifférent. Cependant, l’étudiante de 22 ans, venue en prendre plein les yeux, ressort sur sa faim, dubitative, et frustrée.

Benoit Lasserre interroge Eric Dupont-Moretti

Où est passé l’homme aux éclats de voix ? Où sont les arguments à rallonge qui peuvent nous faire changer d’avis en un clin d’œil ?

Le thème de la conférence, et les questions soulevées auraient pu créer un débat passionnant, mais qui n’a malheureusement pas existé car mis de côté au profit de questions parfois un peu déconcertantes, et aux réponses, trop souvent convenues, ou répétitives de l’auteur aux trois ouvrages, dans lesquels on retrouve finalement les réponses à toutes les questions posées, les mêmes anecdotes et les mêmes procès ayant marquées la carrière de l’avocat acteur.
Il ne faut pas que les « à cotés » de l’avocat, fassent qu’un jour on ne se rappelle de lui que comme « l’acteur du film de Claude Lelouch ». On continue malgré tout de retrouver l’homme que l’on « connait » lorsqu’il parle de l’institution judiciaire, il s’indigne contre une institution qui ne doute plus d’elle-même, et qu’il juge corporatiste, mais il l’a déjà dit cent fois, était-ce seulement le sujet du débat ?
Existe-t-il réellement un débat quand une personne à la si forte personnalité livre son point de vue ? Peut-être que le lieu bien que magnifique ne s’y prêtait pas, peut être que l’auditoire non plus…


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