A l’heure où de multiples polémiques fleurissent : écriture inclusive, séparatisme, réécriture des pièces de Molière, il y a lieu de s’interroger sur le rôle et la place de la Culture au sein de la nation, alors même qu’elle se voit qualifier, COVID oblige ? de « non essentielle ».
L’instauration de l’écriture inclusive, dernier avatar d’un certain fondamentalisme féministe, aurait comme beau résultat, à la fois de complexifier notre langue et de la rendre imprononçable à l’oral. En outre, « en introduisant la spécification du sexe, on consacre une dissociation, ce qui est le contraire de l’inclusion. En prétendant annuler l’opposition de genre, on ne fait que la stigmatiser. L’écriture nouvelle aurait nécessairement un effet renforcé d’opposition des filles et des garçons, créant une exclusion réciproque et aggravant les difficultés d’apprentissage dans les petites classes »*. Sous l’égide de la Comédie Française et avec son aval, à l’initiative de 10 sur 10 et d’un Centre International francophone de Pologne, il est question d’inviter de jeunes auteurs (faut-il que j’écrive auteurs (rices ?)) à réécrire des pièces de Molière au prétexte d’une meilleure accessibilité de son œuvre par le public actuel. Donc, si Molière était accessible aux enfants des générations précédentes, on voudrait nous faire accroire que ce ne serait plus le cas aujourd’hui ? Qu’est-ce à dire ? Cela témoigne d’un mépris manifeste envers la jeunesse de notre temps, plus grave encore il s’agit là d’un mépris de classe non exprimé, tant il est vrai que les enfants issus d’un milieu socio-culturel élevé continueront à apprécier ces textes sans problème car éduqués à savoir contextualiser les œuvres de Molière aussi bien que celles de Ronsard ! Mais alors que dire de la célébrissime tirade du nez de notre Cyrano ? Faudra-t-il sur le champ l’amputer * des imparfaits du subjonctif au prétexte fallacieux que les élèves d’aujourd’hui ne le pratiquent plus ? L’écriture inclusive et le possible « dépoussiérage », évoqué par certains spécialistes du XVII et XVIII, de certains textes pourtant fondateurs de notre culture, ont en commun de toucher à ce que la Nation a de plus sacré : sa langue.
La langue française est reconnue mondialement comme étant la plus précise, la plus complexe, la plus nuancée mais aussi la plus élégante. Elle a été des siècles durant, considérée comme l’instrument idéal de la Culture y compris par des étrangers aussi illustres que Catherine II de Russie ou Frédéric II de Prusse ou encore, plus contemporain, Léopold Sédar Senghor sénégalais poète et Président du Sénégal, premier africain membre de l’Académie Française. Vouloir l’appauvrir en la soumettant aux diktats d’un modernisme échevelé, serait méconnaître et fouler aux pieds l’importance de notre langue et ce qu’elle véhicule aux yeux du monde de valeurs universelles. Au lieu de gémir sur sa complexité, soyons fiers de sa richesse. Enfin, je souhaiterais renvoyer à leurs chères études ceux qui pensent que naître dans un certain milieu empêcherait de s’élever intellectuellement, en leur conseillant la lecture d’un livre magnifique et bouleversant « Padre Padrone » de Gavino Ledda, roman autobiographique d’un petit berger sarde totalement analphabète jusqu’à son service militaire, et pourtant devenu philologue. Alors qu’il est beaucoup question de séparatismes, il parait de plus en plus fondamental de promouvoir la Culture de notre pays afin que chacun puisse se l’approprier, et qu’elle soit plus encore que par le passé, au cœur de notre enseignement. La fermeture au Public des théâtres, des musées, des expositions, des cinémas, vecteurs démocratiques de tous les savoirs, plonge le pays dans un désert culturel sans précédent.
Cela doit cesser.
* tribune de 32 linguistes, article de « Marianne » septembre 2020
* extrait de la tirade du nez de « Cyrano » : « il faudrait sur- le- champ que je me l’amputasse ! »
Ecrit par Josette Discazeaux