Ouvrage qui a valu à Régis Debray de recevoir le « Prix Montaigne » dans les salons de l’Hôtel de Ville de Bordeaux, il y’a quelques semaines. « Un candide à sa fenêtre », disponible dans toutes les bonnes librairies, suscite une réflexion qui stimule neurones et synapses ….
« L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement ; l’homme qui médite vit dans l’obscurité, nous n’avons que le choix du noir ».
Et de préciser dans la préface qui suit cette courte et plutôt sombre citation de Victor-Hugo, que sans dramatiser : « les échappées qui suivent sont à un essai ce qu’une flânerie est à un défilé, ou des songeries à un traité de morale. Elles demandent seulement au lecteur un peu d’indulgence pour ce qu’elles peuvent avoir de mélancolique, de cocasse ou d’injuste ».
L’auteur ne prise pas la littérature d’idées et préfère capter l’émotion, le tremblement et comme il l’ajoute, l’inattendu du réel, il se réserve à soixante-dix ans le privilège de galéjer, de batifoler et pourquoi pas de griffer. L’angoisse du « qu’en dira-t-on » ne concerne plus « le vieil homme » qui a cependant toujours le goût de traverser l’époque en dehors des clous.
« Je dois bien prendre acte qu’en l’espace d’un demi-siècle le cours des choses a mis cul par-dessus tête la vision du monde que j’ai épousée avec des milliers d’autres dès mes premiers pantalons longs …. »
Et de poursuivre, « pour ma part, je me demande ce que j’aurais fait, entre dix-huit et trente ans, si je ne m’étais pas, par bonheur, mis le doigt dans l’œil ».
Le candide méditant à sa fenêtre, conscient de ses errements et autres fourvoiements, au travers de multiples et parfois inattendues échappées aux intitulés des plus variés, allant de « du bougisme » ou « Quel con je fus ! » à « Joséphine Baker au Panthéon », en passant par « Proustomanie » et autre « Château ou Briand », sans oublier « nous sommes tous des imbéciles » ou encore « les domestiques appelés ministres », se permet de divaguer sur dieu et les dieux, les hommes, le beau et le laid, la vie et la mort, ou du moins le vif et le mort, sans oublier bien sûr, l’avenir de l’humanité.
Entre le « tout à l’ego » ambiant, équivalent littéraire du selfie, l’éclipse des transcendances religieuses comblée un temps par la fureur idéologique ….
La rareté du désormais exploit de la lenteur, le silence et la solitude, luxes hors de portée de nos jours, l’art contemporain dont le but est de proposer un parcours qui puisse faire discours et non pas une œuvre - au passage, le premier émoi amoureux de l’auteur, Joan Crawford à l’écran - la glu jouissive, têtue et étanche du « en groupe », la bêtise de la confiance dans la toute-puissance de la raison, la puérilité du rêve libertaire d’une humanité sans dogmes ni systèmes, l’étiquetage « intellectuel de gauche » qui le fait regimber, nos rebellions, malheureusement essentiellement catégorielles, la désuète devise : Liberté, Egalité, Fraternité, devenue pour le dégourdi contemporain, dynamique, équitable, innovant. Voilà un bref aperçu de quelques-uns des nombreux sujets qu’aborde brillamment et non sans humour, Régis Debray dans ce livre.
Morceau choisi : « La soixantaine passée, écrivain devrait s’écrire aigrivain. Avec tant de rancœurs, vexations et mécomptes en lui fermentés, il est chimiquement inévitable qu’il tourne comme le lait et le vin : ainsi des fonds de bouteille ».
L’auteur nous avait bien prévenu dans la préface, ne pas résister avec l’âge, aux impulsions du farfelu !
A lire, même si nous n’avons que le choix du noir.
Un Candide à sa fenêtre Dégagements II
Editions Gallimard
ISBN 97862607601480569
391 pages.

Ecrit par Dominique Mirassou
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