Bordeaux
« Monsieur de Tourny va se sentir bien seul ». Le 31 décembre Pedro Carmona, le kiosquier poète du cours Clémenceau, a définitivement tiré le rideau de son dépôt de presse.
« Bonjour et… au revoir » des mots tout simples mais avec une intonation qui en disait long sur l’émotion des clients venus saluer leur kiosquier, Pedro Carmona. Depuis 36 ans – 38 même si l’on tient compte de son début en 1976 place Charles Gruet – celui-ci était une figure du centre de Bordeaux. Plus qu’un marchand de journaux, c’était un ami, un confident. Son grand bonheur dans ce métier a été justement la rencontre des gens. Qu’ils soient célèbres ou anonymes.
Il est vrai que vendre des journaux et des revues est un acte moins anodin qu’il n’y paraît. Les lectures révèlent les centres d’intérêt et la personnalité de chacun. Surtout pour quelqu’un qui sait lire dans les âmes. L’acte commercial devient un vrai voyage. En première classe au début, dans les années 70 et 80 ; en économique, faute de troisième, aujourd’hui, le chiffre d’affaires des kiosques ayant été divisé en gros par deux. Depuis 2008 les revendeurs sentent mieux que quiconque les effets de la crise. Résultat, le kiosque de la place Tourny va sûrement être fermé définitivement faute de repreneur.
L’au-revoir est devenu un adieu. Mais sans tristesse, parce que ses clients, devenus des amis, savent que la vie ne s’arrête pas pour Pedro. D’abord il va occuper sa retraite à suivre des cours d’histoire de l’art et de littérature. Ensuite et surtout car pour lui ce crépuscule est aussi une aube. Car Pedro Carmona est aussi un poète. Depuis son adolescence il écrit des poèmes. D’abord pour lui, puis pour des revues spécialisées. Depuis 2004, il édite lui-même des recueils de ses poésies. C’est en pensant à cette activité que Michel Suffran, venu saluer Pedro le 31, lui a rendu ce bel hommage : « Monsieur de Tourny va se sentir bien seul ».
Poète de l’intérieur en quête de l’âme humaine, Pedro Carmona ne charge pas ses poèmes de fioritures excessives ou formules recherchées. Économe de ses mots, il exprime ses sentiments avec une simplicité qui témoigne d’une réelle authenticité. On s’en rendra compte, ainsi que de sa grande pudeur, dans son avant-dernier ouvrage, Marie-Christine ou la mémoire de l’avenir, écrit en hommage à sa compagne, malade. Nul doute que, libéré des contraintes quotidiennes de la vie du kiosquier, le poète va pouvoir pleinement s’exprimer.

Ecrit par Antoine Lebegue
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