Bordeaux

Bertrand Vergely à l’Institut Culturel Bernard Magrez

L’Institut Culturel Bernard Magrez recevait Bertrand Vergely ce mardi 1er Juillet pour une conférence philosophique autour de son ouvrage intitulé "Retour à l’émerveillement". Ce n’est pas en raison de l’actualité littéraire la plus immédiate que l’Institut Culturel Bernard Magrez recevait le philosophe . Le livre qui servait de prétexte à la conférence de ce mercredi est en effet paru en 2010.



Pour autant, il ne s’agissait pas pour Bertrand Vergely d’accommoder les restes d’une pensée refroidie par on ne sait quelle date de péremption fixée par la scansion monotone des publications les plus en vue. Car, si le livre de Bertrand Vergely, intitulé "Retour à l’émerveillement", date de quatre ans, son objet, lui, n’a pas d’âge.

Qu’est-ce que s’émerveiller ? En quoi l’acte de s’émerveiller est-il ce qui maintient l’homme en son humanité et le fait sortir de la circularité vaine de la vie biologique ? C’est en effet ces questions-là que Bertrand Vergely a, dans une magistrale leçon de philosophie, tenté de répondre.

Bertrand Vergely montre dans un premier temps que la faculté de penser trouve sa forme la plus vivante et la plus achevée dans l’acte de s’étonner et de s’interroger sur le sens de l’existence, de s’interroger sur le fait qu’il y ait un monde plutôt que rien, sur le fait brutal et radical que nous existons et que nous en sommes conscients jusqu’à un degré d’intensité aucun nulle bête n’accède. Ce regard d’interrogation porté sur l’existence du monde et de nous-mêmes n’est pas un regard distancié, rationnel et froid- le regard qu’un sujet porte sur un objet séparé et distant de lui-même, mais un regard réflexif que l’homme porte sur lui-même et le monde avec lequel il est entrelacé. Ce regard, lorsqu’il est sincère, aboutit à la découverte bouleversante de la beauté de l’existence et donc à l’émerveillement. Penser, penser vraiment, nous dit Bertrand Vergely, ce n’est pas calculer, enchaîner les idées de façon froide et logique, c’est rencontrer l’existence, la nôtre, qui est absolument singulière, celle des autres et celle du monde. Et cette rencontre s’éprouve dans la beauté. Non pas la beauté d’une chose ou d’une autre, mais la beauté d’être. Une telle rencontre est l’émerveillement. Être humain, c’est donc avoir la possibilité de s’arracher au simple fait d’être et se rencontrer soi-même ainsi que les autres dans l’acte inouï d’exister. Or cet émerveillement n’est malheureusement pas au cœur de nos existences quotidiennes. Cette capacité d’émerveillement, nous l’avons perdue. Pourquoi ? D’abord parce que nous avons tendance à identifier l’émerveillement à l’infantile, à la naïveté, à l’ignorance et à l’illusion imaginaire. Il y a, d’après Bertrand Vergely, une tradition philosophique qui vient à l’appui du dénigrement de l’émerveillement, le réservant aux enfants, aux naïfs, aux ignorants et aux sots. L’émerveillement témoignerait d’une faiblesse et d’une immaturité de la pensée.

Selon Bertrand Vergely, cette perspective est catastrophique. Si l’émerveillement est au cœur de la vie, c’est que l’émerveillement s’appuie sur la confiance que nous ne pouvons pas ne pas éprouver envers la vie, nous-mêmes ou les autres. Et c’est au contraire le doute et la méfiance, inspirés par une raison qui se veut lucide et adulte, qui tuent notre capacité à entrer en relation avec le monde, les autres et nous-mêmes. Car, enfin, quelle vie pourrait persévérer sans la confiance naïve que nous accordons à ceux qui nous entourent, sans la croyance minimale en la stabilité de notre environnement humain ? Autrement dit, nos vies et notre monde humain ne reposent pas prioritairement sur la raison, le doute et le calcul mais sur la confiance et, il faudrait ajouter, sur notre abandon confiant à ce qui nous porte sans que nous n’ayons aucun effort à faire pour cela : la Vie même. Nous ne nous sommes pas apportés dans l’existence et la Vie ; c’est la Vie qui nous a apportés en elle. Nous ne naissons au monde que parce que nous sommes nés dans la Vie, par elle et qu’elle nous porte.

Mais notre vie d’humain repose également sur la vulnérabilité, c’est-à-dire l’acceptation d’être exposé au risque de la blessure. Une vie menée dans la peur constante d’être agressé, menacé, blessé est une vie qui voit le mal partout, se ferme à son propre déploiement et se met en danger elle-même en agressant préventivement. La vulnérabilité, c’est prendre le risque de la naïveté et c’est chercher à rencontrer le monde et les autres derrière le rideau de fumée de la peur et du mal.

C’est ainsi que se créent les conditions d’un regard renouvelé sur l’existence, un regard poétique qui ne contredit pas le regard scientifique et rationnel, le regard savant. S’émerveiller, c’est convertir la matière sensorielle en significations et c’est se rendre compte que tout est symbole. Cette conversion de la matière en esprit est encore la découverte bouleversante que notre monde n’est pas un monde muet, mais qu’il est tout entier spirituel et tout entier matériel. Le monde n’est pas absurde, mû par des forces mécaniques ou biologiques aveugles, selon B.Vergely, il est l’actualisation continue du sens.

C’est pour cela que nous pouvons en parler, que nos paroles recueillent du monde et des autres la spiritualité de leurs existences ; c’est pour cela que nos paroles ne sont pas vaines. On ne devrait pas parler pour ne rien dire (même si la plupart de nos paroles utilitaires ne sont pas à la hauteur de la vocation du langage) , on devrait dire le sens du monde, le sens de nos existences et la beauté d’être. Cet univers de langage est le même que celui des scientifiques qui mettent à jour les lois de fonctionnement de la nature et attestent ainsi que notre monde, y compris le plus matériel, est traversé par l’esprit et le langage. B.Vergely va plus loin, il montre comment le langage et l’esprit ne sont pas le supplément d’âme de notre monde, mais sont au fondement même de ce que nous appelons notre monde. Un monde qui ne ferait plus sens serait un monde dans lequel nous ne pourrions pas survivre car notre désir de vivre, nos sentiments, nos pensées et nos décisions s’appuient constamment sur le sens que nous donnons aux choses. L’émerveillement, c’est donc notre rencontre avec l’esprit, le nôtre bien sûr, mais également celui du monde, sous la forme du sens, des symboles, que les poètes, et plus largement les hommes, ont la tâche de manifester.

Raison pourquoi, nous ne devrions pas mépriser l’émerveillement en en faisant une forme de délire imaginaire. L’expérience de l’émerveillement est l’expérience fondamentale de l’ouverture et de la correspondance entre notre intériorité et l’extériorité des choses. De ce point de vue, la dimension spirituelle de la vie consiste précisément dans notre capacité à transfigurer l’apparence prétendument banale des choses en y révélant le fonds de beauté qui s’y trouve.

Plus que cela, en s’accordant à cette beauté, notre raison trouve à se développer et à se nourrir de ce qui est juste et de ce qui vrai et dont la beauté est le vécu sensible. Là encore, l’émerveillement, n’est que le chemin que nous empruntons pour réunifier en nous sensibilité et raison, l’intériorité de notre esprit et l’extériorité du monde. Dans cette perspective, B.Vergely est conduit à évoquer la conviction profonde qui est la sienne, que le hasard n’a pas sa place dans l’Univers. Si tout est esprit et matière, si le sens affleure à chaque sensation, perception et sentiment, si mon intériorité et l’extériorité du monde sont liés par une correspondance mystérieuse qui se livre dans l’expérience de la beauté, c’est que tout a une raison d’être et cela pointe vers la présence de l’Absolu (que d’aucuns appellent Dieu) au cœur même de la réalité. Cela, signifie que comme il dit : « rien de ce que nous vivons n’est inutile » ou absurde et que le désespoir n’est pas la bonne réponse devant les épreuves et la souffrance. La réponse, c’est l’affirmation de la Vie même, car la Vie m’aime et me porte, qui que je sois.

Avec la possibilité de l’émerveillement vient également la possibilité du miracle, non pas tant du miracle religieux, mais du miracle qui consiste pour un être à se relier au monde, aux autres et à sa propre existence par le biais du sens. Qui s’étonne encore du miracle d’être vivant, d’être conscient, et qu’il y ait un monde ?

Dès lors que nous avons, dit B.Vergely, une vie dans laquelle il y a du sens, où chacun est vu et reconnu comme l’humain qu’il est, alors nos situations personnelles et nos états de vie importent peu, car notre noblesse d’humains et la beauté de nos êtres sont reconnues dans la lumière solaire de l’intelligence et de l’amour. Ainsi, rien dans notre vie n’est petit, à commencer par nous-mêmes. L’émerveillement, c’est la capacité que nous avons à révéler la grandeur de tout ce qui est. De cet émerveillement, qui est l’autre nom de l’intelligence de l’amour, ou de l’amour de la sagesse (philo-sophie) découle le respect de toutes les existences, dans la contemplation, l’amour ou la morale.

L’émerveillement, comme puissance d’affirmation de la Vie dans la vie, est l’élan qui entend triompher de ce qui tente d’éteindre la flamme de notre humanité ; voilà en substance ce que B.Vergely nous a partagé lors de sa conférence. S’en est suivi un temps de questions-réponses riche en témoignages et développements. Bertrand Vergely s’est montré attentif à la singularité de chaque intervention et a, dans ses réponses, rendu hommage à l’intelligence de ses auditeurs.

Il faut donc, se procurer le livre de B.Vergely, le lire et vivre enfin !
L’Institut Culturel Bernard Magrez nous a donné là une magnifique occasion de réfléchir.

Le livre de B.Vergely : Retour à l’émerveillement , 326p, Albin Michel, sept 2010

L’institut Culturel Bernard Magrez
Château Labottière, 16 rue de Tivoli
33000 Bordeaux.
http://www.institut-bernard-magrez.com/

Ecrit par Marc


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