Bordeaux
Comment parler d’histoire en France aujourd’hui ? Cette question évocatrice était le sujet du dernier café historique organisé au Café le Plana à Bordeaux. Animée par la directrice de la rédaction de la revue l’Histoire, et enseignante au Lycée Racine à Paris, Valérie Hannin, cette conférence-débat avait pour objectif d’expliquer la complexité de la relation qui lie le passé historique et le présent. Nous nous y sommes rendus pour comprendre la vision de Valérie Hannin vis-à-vis de ce sujet épineux.
Stéphane Barry, l’un des co-créateurs du Café Historique a décidé d’inviter Valérie Hannin, qu’il qualifie de « grande référence ». Il a su voir les problèmes subis par la revue l’Histoire et l’a donc invitée pour parler de ce sujet qui fait débat. Le président du Club de la presse, Pierre Sauvey est également présent, c’est lui qui interrogera l’historienne. Valérie Hannin pose son axe de réflexion principal : l’histoire est une science semble simple, mais qui est en fait très complexe. Pour elle, n’est pas historien qui veut. C’est un métier qui requiert de nombreuses compétences et connaissances, elle cite d’ailleurs Marc Bloch et son œuvre Le métier d’historien. C’est en cela que réside le fond du problème. Aujourd’hui, l’histoire est « victime » d’une vulgarisation à travers les romans, les fictions, le cinéma, les médias et Internet. Beaucoup d’individus font de l’histoire et commettent des approximations. On peut facilement se perdre entre ce que l’on appellerai l’histoire savante et l’histoire vulgarisée. Cette conférence évoque somme toute ce que Valérie Hannin nomme la notion de « brouillage ». Elle prend l’exemple d’Internet, où elle constate la présence d’une histoire savante, et d’une histoire brouillée. L’historienne défini l’histoire brouillée comme une histoire médiatisée de la mauvaise manière, c’est-à-dire qu’elle est simplifiée voire modifiée pour intéresser la masse de spectateurs et faire de l’audience. Il y a une ligne de séparation claire entre production savante et production populaire, qui a « lieu d’être ».
Comprendre et distinguer la différence entre les deux est un véritable défi. On ne sait plus où l’on est. Des universitaires acceptent d’aller à la télévision ou de produire des papiers où l’on mélange travail de fond et vulgarisation quand des producteurs créent des émissions à priori historiques qui ne sont finalement qu’une caricature du sujet.
La revue de l’Histoire de Valérie Hannin essaye de répondre à cette problématique en synthétisant journalisme et histoire savante. Histoire est une revue qui ne ressemble à aucune autre. Elle a une volonté de faire de l’histoire savante pour tous, c’est une revue de recherche, écrite par des universitaires sur leurs sujets de recherche, pour des étudiants et des confrères mais pas seulement. La revue dispose d’un vrai travail journalistique qui rend plus « sexy » le travail universitaire, Valérie Hannin la qualifie même de revue « hybride » et « d’idée formidable » : c’est la mise à la portée d’un public intéressé, sans pré-requis, avec un appareil d’outillage et une volonté d’écriture. Pierre Sauvey fait d’ailleurs remarquer l’attention portée sur les "Unes" par les auteurs de la revue. A la croisée de l’offre et de la demande, de plus en plus attrayantes, les "Unes" de l’Histoire présentent des thèmes actuels, sans cesse renouvelés pour donner un éclairage de lecture historique sur les événements d’actualité. Pour Valérie Hannin, c’est cela qui créer une relation positive entre actualité et histoire savante.
Cependant, même si la revue de l’Histoire répond en partie aux attentes concernant la transmission de l’histoire savante, c’est un outil quelque peu limité. Alors, comment s’y retrouver concrètement dans ces pistes brouillées ? L’historienne pense que la solution est l’éducation. Mais comment faire de l’histoire sérieuse, savante et la transmettre à un public de jeunes pas forcément intéressés ? Elle rappellera tout d’abord qu’en France nous sommes chanceux d’avoir une « vraie place » pour l’histoire dans l’éducation, c’est en effet une discipline très présente, très tôt et qui dispose de nombreux professeurs bien formés, pas seulement d’éducateurs. On retrouve encore une fois la notion du « n’est pas historien qui veut », qui fait visiblement la différence aux yeux de la professeure. Selon Valérie Hannin, la solution est qu’il faut apprendre à donner des repères aux élèves. Il ne faut pas avoir peur d’entrer dans la complexité, c’est une exigence différente du simplifié et ennuyant. Étudier le fond, toucher la complexité s’avérera plus intéressant mais plus difficile, cela ne doit pas faire peur aux enseignants.
En somme, Valérie Hannin conclut sur une de ses certitudes, intéresser les élèves et les lecteurs à l’histoire relève du même champ de compétences mais avec des modes d’application différents. Il faut savoir adapter l’histoire savante, la rendre attrayante sans tomber dans le brouillage. Le complexe fait partie de l’histoire, il ne faut pas renier cet aspect, c’est cela qui distingue les historiens de métier.

Ecrit par Nadia Soulé
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