Bordeaux
En pleine seconde guerre mondiale, dans les années 1941-42, la ville de Bordeaux va perdre bon nombre de ses plus belles œuvres d’arts en bronze, jusqu’alors bien connues et appréciées de tous les bordelais. Parmi celles-ci, les bronzes des fontaines du monument des Girondins, l’occupant allemand ayant décidé de les transformer en canons.
De multiples œuvres livrées aux fondeurs
Le vendredi 21 novembre 1941, la presse bordelaise annonce que la commission des Beaux-arts va prochainement trancher la délicate question des statues à livrer aux fondeurs. Vont ainsi disparaître du paysage de notre ville, la statue de Louis XVI au musée de la mairie, celle de Vercingétorix aux allées Damour (Place des martyrs de la Résistance), celle du président Sadi-Carnot place Jean Jaurès, mais encore le buste de Beethoven au Grand-Théâtre et celui du géographe Léo Drouyn au square Saint-André. Au jardin-public sont enlevés les bronzes du botaniste Alexis Millardet, du chimiste Ulysse Gayon, du peintre animalier Carles Vernet et du poète bordelais Léon Valade. La réplique réduite de la statue de la Liberté, donnée par le statuaire Frédéric Bartholdi, installée place Picard, n’y échappera pas et partira elle aussi en chair à canon. Lors de son procès, le maire Adrien Marquet affirmera avoir essayé par ses atermoiements de relativement protéger sa ville des réquisitions de statues.
Le cas très particulier des fontaines de la place des Quinconces
Le 5 Septembre 1942, « la commission à la récupération des métaux non ferreux » décide d’envoyer à la refonte les bronzes des « fontaines du monument des Girondins ». Chacun comprenant la monstruosité de fondre une œuvre pareille pour en faire des canons, personne ne va se précipiter, tous les intervenants vont traîner les pieds. La fontaine une fois fondue est destinée à être payée 30 francs le kilogramme !!! Le chantier ne débutera que le 14 août 1943 et les divers éléments seront démontés proprement (cinquante tonnes de bronze). Tout est ensuite fait pour retarder le convoi, il n’y a aucune urgence si bien qu’à la Libération, en octobre 1944, les bronzes n’ont toujours pas dépassé la ville d’Angers où ils sont récupérés. Les morceaux sont intacts, la reconstitution des fontaines reste possible.
Un accueil triomphal à Bordeaux, une lente résurrection
Ramenée ainsi en pièces détachées le 5 Juillet 1945 à Bordeaux, l’œuvre reçoit un accueil triomphal de la part des bordelais, gloire éphémère cependant car la remise en état va devoir attendre longtemps. Jacques Chaban-Delmas, nouveau maire de Bordeaux, ne semble pas se presser, histoire de ne pas faire trop parler de son prédécesseur à la mairie, diront certains …. En 1968 va naître une association pour réclamer la sauvegarde et le remontage de la fontaine. En 1977 la mairie crée une commission qui va solliciter de nombreux avis tant sur le plan technique qu’artistique et conclure à l’intérêt de l’œuvre ainsi qu’à la possibilité de sa remise en état. C’est en 1983, soit quarante ans après sa destruction programmée que la fontaine et ses chevaux vont retrouver leur place pour le plus grand bonheur des Bordelais et des nombreux visiteurs de notre cité. Une monstruosité organisée était ainsi réparée, de quoi encore et toujours nous réjouir et s’inscrire dans nos mémoires, car ce n’est pas si fréquent …..
Sources : Le remarquable ouvrage de Franck Lafossas : « MARQUET secrets et souvenirs »
Préfacé par Benoît Ducos-Ader
Collection « Mémoires de France » Les Dossiers d’Aquitaine
Ecrit par Dominique Mirassou