Voile

Pinasses à voile, vieux gréements du Bassin, voiles d’antan... et de maintenant 

Jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, des bateaux de tout genre travaillaient à la voile sur nos côtes, où chaque type de littoral, chaque genre de navigation avait généré des vieux gréements particuliers. C’est pourquoi actuellement, lors des rassemblements de voile / aviron, on découvre une telle variété d’embarcations. Bateaux à l’origine destinés à la pêche, au cabotage ou au pilotage, les uns sont de vielles coques restaurées, les autres des constructions récentes, fidèles reconstitutions à l’identique. On ne saurait mieux dire que Maude Fontenoy et Patrick Poivre d’Arvor, dans la préface d’Histoires de vieux gréements, écrite par Dominique Lebrun.
La pinasse, embarcation typique du littoral gascon, n’échappe pas à cette généralité.



Nous connaissons, encore aujourd’hui, les bacs à voile, les monotypes d’Arcachon, pacifics, loups et autres gréements de la belle plaisance sur le Bassin d’Arcachon... En aparté, il faut peut être signaler un événement concernant les chaloupes, qui pouvaient affronter la haute mer (jusqu’à la fin du 19ème siècle). Cette embarcation professionnelle n’étaient pas toujours pontées, ce qui causa sa perte. Ce qu’on appelle communément LOU GRAN’ MALUR (le Grand Malheur) est le naufrage, survenu les 27 et 28 mars 1836, de 78 marins navigant à bord de six chaloupes testerines, devant les passes du bassin rendu infranchissables par la météo ; les chaloupes avant de sombrer avaient lutté six jours durant dans un océan démonté. Cet épisode eut un retentissement national, soulevant de nombreuses questions sur la pêche au large de nos bateaux traditionnels. En 1837, le capitaine Allègre arme le Turbot (1er chalutier à vapeur du monde) pour éviter ce genre de catastrophe. Ce fut le précurseur de ce qui allait devenir une aventure Arcachonnaise avant même que la ville ne soit fondée en 1857, propulsant Arcachon au 2ème rang des ports de pêche français, dès 1910. Malgré tout les pinasses à voile vont continuer leurs activités sur le bassin jusque dans la deuxième moitié du vingtième siècle.

Peinture de Paul Kaufmann

Le peintre bordelais Gustave ALAUX comparait la rade d’Arcachon à un « bassin des tuileries pour grands enfants ». La pinasse raconte une longue histoire : la notre ! Cependant, ce n’est pas une histoire pour les enfants. « Levons les voiles du mystère entourant un bateau aussi méconnu pour son histoire, qu’admiré pour ses formes. » Bien des amoureux de cet esquif, belle expression de la communauté maritime du bassin, s’y sont essayé.
Jean Marie Brossard dans l’introduction de son ouvrage, Des racines et des voiles, nous dit : « En Arcachon, la voile était un moyen de propulsion largement utilisé par les marins pour se déplacer de leurs ports d’attache à leurs lieux de travail. Ce sont eux qui sont à l’origine des premières régates. Le premier défi fut lancé en 1841 sur des tilloles. Puis c’est à partir de 1848 que ces défis entre ports, se firent sur des pinasses à voile. L’arrivée de la Société de voile d’Arcachon en 1882 donna un essor important à cette ville qui devint la station balnéaire favorite des Bordelais. Certains d’entre-eux, pratiquaient la voile sur la Garonne et la Gironde ; ils organisèrent la première régate de voiliers en rade d’Arcachon l’année 1852, par l’intermédiaire de la Société des Régates Bordelaises . En 1862, les régates regroupaient déjà plus de 30 voiliers. A L’initiative d’A. Deganne se créa en 1866 la Société Nautique des Régates d’Arcachon, dont l’objectif principal était d’organiser ces manifestations durant la saison des bains de mer dans le Teychan. ». Dans un contexte plus large, celui de l’esprit de régate qui prit naissance également dans le nord du Bassin, avec la création des clubs de Taussat-Cassy, d’Andernos, de Claouey, Ares… une flottille de monotypes CV (créé en 1912), loups (autre monotype de la région) et Pacific (dériveur de 1941) écumait aussi le plan d’eau. La pinasse gardait toute sa place dans cette atmosphère de régate...
Mais aujourd’hui, c’est une rescapée ! En effet, au début des années soixante, ces manifestations entre ostréiculteurs, marins pêcheurs… et quelques « miquets » (touristes ainsi plaisamment dénommés par les locaux) cessèrent faute de participants. Les dernières années on ne comptait plus que cinq ou six participants ; 1962 pour être tout à fait exacte, une ultime régate eut lieu à Lanton.

Chantier Raba

Cette embarcation emblématique a subit de nombreuses évolutions au fil des décennies afin de devenir celle que nous connaissons encore de nos jours. La première description cohérente de la pinasse date du début du XVIIème et laisse déjà apparaître ses caractères essentiels : forme effilée en navette, fond plats, bordage à clin… et surtout la cingle (ceinture extérieure) qui tient l’ensemble, forme vers ses deux extrémités bien relevées, des sortes de cornes qui donnent son côté exotique et un port de reine à cette « barcasse à nulle autre pareille ». Jadis mue principalement à l’aviron , on lui grée à l’occasion une petite voile carrée. Bien que bâtie en pin du pays (elle est entièrement chevillée en bois) l’origine de son nom ne viendrais pas forcement de celui de l’arbre régional. L’étymologie plutôt controversée, pourrait provenir de différentes sources : de l’espagnol pinassa (petit navire), de l’anglais pinace, voir du hollandais pinck… et bien sur du latin pinax (planche) ou pinus (pin). Faite votre choix ! Plus poétiquement :

« A vrai dire
Je suis fille de l’océan
Mais aussi de la foret
Enfant de l’arbre
Et enfant de l’océan
[ ]
Je suis reine mythique
Du Bassin, du ciel et de la pignada »
Alain Pujol

Même si elle bénéficie d’influences diverses (nordique en ce qui concerne les clins, tolet plutôt méditerranéens, gréement basque, d’Amérique du nord provient le puits de dérive…) ce bateau est un encrage dans la tradition navale. « Chaque modèle est inspiré d’autres mais on le fait évoluer en fonction de son activité, localement » confirme Jean Batiste Bossuet, qui reçoit Bordeaux Gazette dans le chantier naval familial du quartier de l’Aiguillon, à Arcachon. Six générations de charpentiers de marine s’y sont succédé depuis sa création en 1874 par un ailleul ; tonnelier à Saint Serin sur l’Isle (Gironde) et suite au service militaire effectué à l’arsenal de Rochefort, il décide de fabriquer des bateaux… la passion, toujours la passion !
Vers 1880, deux éléments nouveaux apparaissent : un gouvernail suspendu à une ferrure métallique, à l’instar des chaloupes du pays, et à la fin de la décennie, la dérive coulissante en puits adoptée sur certaines unités. La voile est alors couramment utilisée ; il s’agit d’une grande voile au tiers, restant très rectangulaire cependant et toujours amurée en abord. Un système d’inclinaison variable du mat améliore les performances sous voiles aux différentes allures.
L’expansion massive de l’ostréiculture dans la seconde moitié du XIXème entraîne une augmentation importante des constructions, même si d’autres bateaux font leur apparition, telles que baleinières, filandières, pontons, bac à voile… la pinasse sur la côte, comme sur le bassin, pour toutes les activités de pêche et d’ostréiculture reste le bateau préféré des locaux. Son coût est également très inférieur à celui d’autres embarcations ; le pin ne manque pas et le marin du cru, souvent charpentier, peut la construire lui même ; on constate également l’intérêt de son faible tirant d’eau pour naviguer au dessus des bancs ; elle est légère à transporter hors de l’eau, à dos d’homme ; très fine, bien profilée, elle part des ports à l’ouest du bassin pour remonter vers les passes et les lieux de travail. Une autre particularité, est le fait de faire passer la vergue de la voile d’un côté à l’autre du mat durant le virement de bord, action résumée par le terme technique maritime gambeyer (provient de gambe, qui signifie jambe bien sur). Cette manœuvre qui peut être délicate, s’apparente à un pas de danse d’où son nom ! Il est à noter que sur la pinasse on soulève également le mat pour faire passer la vergue dessous.

Equipage de la teychine

En 1982 la pinasse à voile a presque disparu ! Le 15 août de cette même année Pierre Mallet, président du Cercle de Voile d’Arcachon, réunit au départ d’Eyrac, la « Marie Louise » d’Hubert Charpentier, de Grand-Claouey et « Souvenir » d’Eric Squenel face à la Germaine un troisième « engin navigant » gréée de façon assez peu académique. Et deviner qui gagna cette régate sous les huées des derniers aficionados ?! C’en était trop : Hubert Charpentier, la famille Senz et autres testerins décident de créer une association regroupant de « vraies » pinasses afin de barrer la route à ces objets flottants. L’année 1985 voit la naissance officielle de l’Amicale des Pinasseyres, qui entreprend le sauvetage in extremis de ce patrimoine maritime. De même la tradition des régates d’été est reprise, les jours de fête de chaque localités du Bassin. Peu à peu les dernières pinassottes récupérables sont remises à flot, des voiles et des mats dénichés au fond des chais : ainsi la Belle, la Goudurix… La Véraline est mise en chantier pour un particulier, au 13 Rue Camille Pelletan (nom prédestiné que celui d’un de nos anciens ministres de la marine ! ) par le charpentier naval Christian Raba, qui accepte de donner un éclairage sur cette période de renouveau : enfin une pinasse neuve (qui sera présentée au salon nautique 1988 de Paris. Il faut préciser que cet élan de reconstruction se place dans le sillon d’un mouvement parti des grandes fêtes de Douarnenez et orchestré par la revue bretonne du Chasse-Marée ( publication de l’Association de Préfiguration d’un Écomusée Maritime Littoral en Pays de Buch ). L’association des pinasseyres s’est donc donné pour but de maintenir ce fleuron de la flotte locale, ainsi que ses règles de construction et d’armement (coque de 8,50m par 1,75m au bau...) tout en étant chacune une pièce unique. « Avec le soutien actif des mairies du Bassin, souligne Pascale Chapouleau (actuel président des pinasseyres d’Arcachon). Cet intérêt petit à petit de toutes les municipalités concernées est assez unique : il est à l’origine de la réalisation de la flotille qui régate tous les étés depuis plus de trois décennies. »
La Marie Louise qui pris part à cette fameuse régate du 15 août 82 est en quelque sorte la mère de toutes les pinasses qui naviguent aujourd’hui ; elle a servie de modèle à celles qui suivent... et quelques autres appartenant à des particuliers .

Ainsi, en 1986 la mairie d’Arcachon, sous l’influence de Pierre Mallet alors conseillé municipal de la ville, commande la construction de quatre unités, portant les noms des quatre paroisses : ND d’Arcachon et ND des passes au chantier Raba à La teste ; Saint Ferdinand et la Jeanne d’Arc à Dubourdieu sur le port de Gujan Mestras.

Actuellement, trois d’entre elle fonctionnent sur les quatre. (interview Chapouleau)
Viennent la Capricieuse (Raba) et Ferret Capie (Bossuet) en 1987 ; puis Voga Longa l’année suivante ; la Légeote (toujours du chantier Bossuet) en 2007 appartenant toutes au Cap Ferret.
La Teste possède La Testerine et la Fringante construites dès 1988 par Christian Raba.

Gujan barre la Hume et Larros, sorties en 1989 du chantier Dubourdieu ; puis la Canaleyre, depuis 2012, réalisée dans le local associatif de l’Argonautique et dont les charpentiers de marine Jacques Lapeyre et Gérard Carrère font partie des fondateurs avec Jean Pierre Dubourdieu.
L’Audangeoise est mise à l’eau dès 1989 (Dubourdieu) ;
La Voltigeuse est construite pour Lanton en 2001 par le lycée de la Mer ;
La Vive pour Andernos et par Raba, en 2003 ;
En 2005 vient la Boienne (lycée de la mer) qui finit première du championnat 2016 ;
L’Aresienne la seule construite en chêne truffier, par Max Maiola en Dordogne (2011) ;

Enfin le Teych est la dernière commune a mettre une pinasse en course : Mound a Can, rénovée en grande partie par les Ajouter au dictionnaire eux même et mise à l’eau en 2013 sous le nom de la Teychine. Cette pinasse a fait l’objet de quelques travaux chez Bossuet qui met à l’eau également la Bleu de mer (le 11 juillet 2014) pour B. Magrez propriétaire de vignobles. Comme sont père Michel Bossuet, parmi les pinasseyres pionniers et régatier redoutable, Jean Batiste est le skipper de cette pinasse. Il faut une moyenne de 600 heures et un budget d’Environ 40000E pour mener à bien ce type de construction.

Actuellement la flotte est formée d’une trentaine d’unités dont la moyenne d’âge avoisine la vingtaine d’année.

Peinture de Serge Roubichou

Affiche commandée en 2001 à l’occasion de la fête des bateaux traditionnels et des cabanes, d’après une aquarelle du peintre Serge Roubichou. L’atelier de cet ancien barbotte pinasseyre est installé à Biganos où il a « jeté l’ancre » loin de ses origines bitterroises.

Qu’en est il de l’avenir de ces vieux gréements ?! Les chantiers du Bassins autrefois nombreux qui détiennent ce savoir le sont de moins en moins. Et qu’en est il de celui des pinasseyres. « La pinasse n’est rien sans un bon équipage » affirme Michel Dauburon qui au sein de l’Argonautique participa à la réalisation de la Canaleyre, une des embarcations les plus récompensées lors des dernières éditions de ce fameux championnat du monde de pinasse à voile !! Sur cet esquif, entre six à huit coéquipiers forment l’équipage. Cela implique au moins sept fois deux personnes pour faire naviguer une pinassotte chaque week-end de l’été, à l’occasion des régates qui se succèdent sur plus de deux mois. D’où une relative disponibilité de chaque pinasseyre « qu’ il faut savoir recruter parmi nos enfants et leurs copains, savoir leur dire de venir , mais avec une exigence modérée » déclare Pascal Chapouleau, qui a la responsabilité des pinasses Arcachonnaises. C’est une activité intergénérationnelle qui doit pouvoir mélanger le savoir des uns avec l’énergie des autres, d’où l’importance d’une relève jeune.

Bordeaux gazette souhaite longue vie à l’amicale des pinasseyres, cette association loi 1901 qui a plus de trente ans et encore toute ses dents ainsi qu’un nouveau président Jean Louis Reveleau, issue d’une famille de pêcheurs, d’ostréiculteurs du Canon.

Ecrit par Vassof


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