Bordeaux
Hier soir, dans la salle Vitez archicomble et face à la standing ovation d’un public conquis et joyeux, les quelques vingt comédiennes toujours dans le tempo après 1h45 d’un spectacle construit comme un puzzle millimétré, harmonieux, dans les notes, les voix, les mots, respiraient l’enthousiasme et un bonheur partagé … Un cadeau !
D’après Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay
Livret, paroles et mise en scène René Richard Cyr
Supervision artistique et direction des actrices Ariane Mnouchkine
J’avais lu tout à fait par hasard la pièce de Michel Tremblay lors d’un festival à Avignon dans les années 2000 totalement séduit par cette pièce « Les Belles sœurs » malgré quelques difficultés de traduction et de compréhension de ce joual canadien tellement savoureux pourtant … Les répliquent s’entendent et sonnent comme un opéra.
Et aujourd’hui, 20 années plus tard, porté par l’enthousiasme, les talents confondus de René Richard Cyr, Ariane Mnouchkine et les superbes tempéraments de 21 excellentes comédiennes, toutes authentiques et multiples c’est la grande découverte de cette pièce embellie par les notes et les voix pour se muer en une comédie musicale digne des plus grandes scènes de Broadway ou de Londres … C’est Noël avant l’heure.
La trame est simple mais l’enjeu sociétal, humain, tragi-comique ou simplement vrai de toutes les contradictions, les rêves ou les envies d’un mieux vivre bien compréhensible s’impose dans un désordre brillamment organisé, dur à conquérir mais tellement joyeux malgré les propos qui, souvent, frôlent le drame de vies monotones et sans espoir.
Et pourtant c’est comme un conte de fée que l’on découvre ce décor blanc d’une cuisine des années 60 posée sur un damier souligné de cette couleur noire adroitement cachée dans les dialogues ponctués de rires et d’espoirs d’une existence rêvée par toutes ces femmes, de la plus jeune à la plus âgée « trimballée » sur son fauteuil roulant.
- As Comadres
- © Photo TnBA
Des femmes, mères de famille sans emploi, étouffées par la routine des tâches ménagères ingrates, n’ont pour seul espace de rêve qu’un catalogue d’objets du quotidien qui leurs font terriblement défaut. Il leur faut donc patiemment collectionner des timbres et espérer gagner, un jour, le gros lot. L’histoire est tellement simple ! Et Bingo ! l’une d’entre elles gagne un concours. Tout le catalogue d’un coup et un million de vignettes à coller. Ce sera long et astreignant seulement aidée de sa fille qui ne rêve que de sorties avec son petit copain … Alors elle invite ses amies, sœurs, belles-sœurs, voisines à une journée de retrouvailles joyeuses ou chacune, de quelques coups de langues appliqués, devront coller les timbres, causer de leurs rêves, de leur quotidien. Et ainsi gagner tout ce qu’il faut pour remeubler leur maison, améliorer l’ordinaire. Mais tout va très vite partir en vrille. Jalousie, médisance, hypocrisie vont poindre leur nez, se joindre à la fête. Ces femmes ordinaires vont peu à peu nous révéler leurs vies pauvres, frustrantes. Se haïr. Se trahir. Jusqu’à voler les planches de timbres qu’elles n’ont pu coller. Celle qui, parce qu’elle se voyait soudainement vieillir, décide subitement la fête en courant des cabarets où elle se sent bien … La plus jeune, enceinte, qui veut avorter conseillée par sa tante bannie de la famille et tant et tant d’autres certitudes soudainement révélées, avouées, devinées, trahies, jusqu’au démantèlement d’une structure que l’on croyait solide. Comme notre monde, notre société aujourd’hui …
« As Comadres n’en constitue pas moins un théâtre d’engagement collectif profond. La réalisation du spectacle lui-même constitue une réponse possible aux enjeux de solitude et de servitude volontaire des femmes, portés par la pièce. Ce spectacle au Brésil, aujourd’hui, entre en résonance avec d’autres manifestations artistiques et culturelles, telle la proposition de l’école de samba Mangueira qui a remporté le dernier carnaval de Rio de Janeiro, grâce à un défilé contestataire qui a rendu hommage à l’élue noire Marielle Franco, assassinée il y a un an et a affiché sur un char allégorique une bannière dénonçant la « dictature assassine » louée par le président d’extrême droite Jair Bolsonaro. Le Brésil est blessé, mais les espaces de résistance et de solidarité existent. As Comadres en est un. » Ariane Mnouchkine
2 représentations, les dernières, Samedi 11 décembre 15h et 19h30 TNBA Bordeaux

Ecrit par Pierre Chep
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